Considérations principales de l’arrêt de la première chambre du 24 mars 2021
- 1 BvR 2656/18 -
- 1 BvR 78/20 -
- 1 BvR 96/20 -
- 1 BvR 288/20 -
(Changement climatique)
1. La protection de la vie et de l’intégrité physique en vertu de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase de la Loi fondamentale inclut une protection contre des atteintes aux intérêts protégés par les droits fondamentaux entraînées par des dégradations de l’environnement, quel qu’en soit l’auteur et quelles qu’en soient les causes. Le devoir de protection imposé à l’État par l’article 2, alinéa 2, 1rephrase de la Loi fondamentale inclut le devoir de protéger la vie et la santé humaines contre les dangers émanant du changement climatique. Il peut donner lieu à un devoir de protection objectif même envers des générations futures.
2. L’article 20a de la Loi fondamentale impose à l’État de protéger le climat. Cela inclut de viser à la réalisation de la neutralité climatique.
a) L’article 20a de la Loi fondamentale ne bénéficie pas d’une primauté absolue par rapport à d’autres intérêts, mais doit, en cas de conflit, être concilié avec d’autres droits et principes protégés par la Constitution. Dans le contexte de cette mise en balance d’intérêts, l’importance relative de l’obligation de protéger le climat continuera d’augmenter plus le changement climatique progressera.
b) Lorsque demeurent des incertitudes scientifiques quant à des relations de cause à effet en matière environnementale, le devoir particulier d’agir avec soin et diligence qui pèse sur le législateur en vertu de l’article 20a de la Loi fondamentale, y compris pour le bénéfice des générations futures, exige que, s’il existe déjà des indications fiables relatives à la possibilité d’une survenance de dommages environnementaux graves ou irréversibles, ces indications soient prises en considération.
c) En tant qu’obligation de protéger le climat, l’article 20a de la Loi fondamentale comporte une dimension internationale. Le fait que le climat et le réchauffement de la planète constituent des phénomènes mondiaux et que les problèmes causés par le changement climatique ne pourront être résolus par l’action d’un seul État ne fait pas obstacle à l’obligation formulée à l’échelon national de protéger le climat. L’obligation de protéger le climat exige de l’État qu’il agisse à l’échelon mondial pour poursuivre cet objectif dans le cadre de la coopération internationale. L’État ne saurait se dégager de sa responsabilité en soulignant les émissions de gaz à effet de serre produites par d’autres États.
d) Le législateur a exercé son devoir et sa prérogative de concrétiser l’objectif de protéger le climat formulé par l’article 20a de la Loi fondamentale, et il a procédé à une concrétisation conforme, en l’état actuel, à la Constitution lorsqu’il a adopté l’exigence de contenir l’augmentation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de préférence en dessous de 1,5 °C.
e) L’article 20a de la Loi fondamentale contient une norme juridique susceptible d’être invoquée en justice dont l’objectif est d’imposer au processus politique la prise en compte de préoccupations environnementales, notamment en ce qui concerne les générations futures.
3. La compatibilité avec l’article 20a de la Loi fondamentale constitue une condition préalable pour justifier en droit constitutionnel l’ingérence de l’État dans les droits fondamentaux.
4. Sous certaines conditions, la Loi fondamentale exige une préservation dans le temps de la liberté garantie par les droits fondamentaux et une répartition proportionnée des opportunités de liberté entre les générations. Dans leur dimension subjective, les droits fondamentaux – en tant que garanties intertemporelles de liberté – protègent contre un report unilatéral vers l’avenir de la charge imposée par l’article 20a de la Loi fondamentale de réduire les émissions de gaz à effet de serre. En outre, dans sa dimension objective, le devoir de protection formulé à l’article 20a de la Loi fondamentale englobe l’impératif de prendre soin des fondements naturels de la vie d’une manière qui permette de les léguer aux générations futures dans un état qui laisse à ces dernières un choix autre que celui de l’austérité radicale, si elles veulent continuer à préserver ces fondements.
Le ménagement de la liberté future exige en outre que le passage à la neutralité climatique soit amorcé à temps. Concrètement, il est indispensable de formuler bien à l’avance des exigences transparentes pour l’aménagement ultérieur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, lesquelles devront servir de cadre d’orientation pour les processus nécessaires de développement et de mise en œuvre et en même temps suffisamment pousser au développement et offrir une sécurité en matière de planification.
5. Le législateur est tenu de fixer lui-même les dispositions nécessaires relatives aux volumes totaux des émissions autorisées pendant une période donnée. Une simple participation du Parlement au moyen d’une approbation par le Bundestag de décrets pris par le gouvernement fédéral ne saurait remplacer la procédure législative pour fixer les dispositions relatives aux volumes d’émissions autorisées, car c’est précisément la fonction particulière de publicité caractérisant la procédure législative qui rend ici nécessaire l’adoption d'une législation parlementaire. Il est certes vrai que, dans des branches du droit caractérisées par un développement continu et des connaissances évolutives, une fixation par la loi peut avoir un effet néfaste pour la protection des droits fondamentaux. Toutefois, l’idée sous-jacente dans de tels cas de figure, à savoir celle d’une protection dynamique des droits fondamentaux (cf. la décision de principe dans Recueil BVerfGE 49, 89 <137>) ne peut être opposée dans le cas de l’espèce à l’exigence de légiférer. Le défi n’est pas d’adapter, afin d’assurer la protection des droits fondamentaux, des régimes juridiques pour être à la hauteur des évolutions et des connaissances, mais bien de réellement permettre, au moyen d’un régime juridique, des évolutions futures pour la protection des droits fondamentaux.
COUR CONSTITUTIONNELLE FÉDÉRALE
- 1 BvR 2656/18 -
- 1 BvR 78/20 -
- 1 BvR 96/20 -
- 1 BvR 288/20 -
AU NOM DU PEUPLE
Dans les procédures
relatives
aux recours constitutionnels introduits par
I. 1. à 11. [des particuliers résidant en Allemagne,]
12. l’association S… e.V.,
13. l’association B… e.V.,
- Mandataires :
1. … -
2. … -
contre
1. l’omission de la part de la République fédérale d’Allemagne de prévoir des dispositions législatives et des mesures adéquates pour protéger le climat,
2. le § 3, alinéa 1, le § 4, alinéa 1 combiné à l’annexe no 2, et le § 4, alinéa 6 de la loi fédérale du 12 décembre 2019 relative à la protection du climat (Klimaschutzgesetz – KSG)
(Journal officiel fédéral – Bundesgesetzblatt I page 2513)
- 1 BvR 2656/18 -,
II. 1. à 12 [des particuliers résidant au Bangladesh]
13. à 15 [des particuliers résidant au Népal]
- Mandataires : … -
contre
1. le § 3, alinéa 1, le § 4, alinéa 1 combiné à l’annexe no 1 et à l’annexe no 2, le § 4, alinéas 3, 5 et 6, le § 8 et le § 9 de la loi fédérale du 12 décembre 2019 relative à la protection du climat (Journal officiel fédéral I page 2513),
2. l’omission persistante du législateur fédéral et du gouvernement fédéral d’adopter des mesures adéquates et suffisantes du point de vue pronostique qui permettent de respecter le budget résiduel national de CO2 calculé en fonction de la population (3,465 gigatonnes de CO2 à compter de l’année 2020)
- 1 BvR 78/20 -,
III. 1. à 10. [des mineurs résidant en Allemagne]
- Mandataires : … -
contre
1. le § 3, alinéa 1, le § 4, alinéa 1 combiné à l’annexe no 1 et à l’annexe no 2, le § 4, alinéas 3, 5 et 6, le § 8 et le § 9 de la loi fédérale du 12 décembre 2019 relative à la protection du climat (Journal officiel fédéral I page 2513),
2. l’omission persistante du législateur fédéral et du gouvernement fédéral d’adopter des mesures adéquates et suffisantes du point de vue pronostique qui permettent de respecter le budget résiduel national de CO2 calculé en fonction de la population (3,465 gigatonnes de CO2 à compter de l’année 2020)
- 1 BvR 96/20 -,
IV. 1. à 9. [des habitants, dont certains sont des mineurs, d’îles allemandes ou de communes situées sur le littoral allemand]
- Mandataires : … -
contre
le § 3, alinéa 1, le § 4, alinéa 1 combiné à l’annexe no 1 et à l’annexe no 2, le § 4, alinéas 3, 5 et 6, le § 8 et le § 9 de la loi fédérale du 12 décembre 2019 relative à la protection du climat (Journal officiel fédéral I page 2513) combinés à l’article 5 du Règlement (UE) 2018/852 du 30 mai 2018
- 1 BvR 288/20 -
la Cour constitutionnelle fédérale ‒ première chambre ‒
où siégeaient les juges
Président Harbarth,
Paulus,
Baer,
Britz,
Ott,
Christ,
Radtke,
Härtel
a décidé le 24 mars 2021 :
1. Les recours constitutionnels des requérants sous 12) et 13) dans l’affaire 1 BvR 2656/18 sont écartés.
2. Le § 3, alinéa 1, 2nde phrase et le § 4, alinéa 1, 3e phrase de la loi fédérale du 12 décembre 2019 relative à la protection du climat (Journal officiel fédéral I page 2513) en combinaison avec l’annexe no 2 ne sont pas conformes aux droits fondamentaux, dans la mesure où ne sont pas prévues des dispositions relatives à l’ajustement de la trajectoire de réduction des émissions pour les périodes à partir de 2031 satisfaisant aux exigences constitutionnelles précisées dans les motifs du présent arrêt.
3. Pour le reste, les recours constitutionnels sont rejetés.
4. Le législateur est tenu de fixer jusqu’au 31 décembre 2022 au plus tard l’ajustement de la trajectoire de réduction des émissions pour les périodes à partir de l’année 2031 en fonction des motifs du présent arrêt. Le § 3, alinéa 1, 2nde phrase et le § 4, alinéa 1, 3e phrase de la loi fédérale du 12 décembre 2019 relative à la protection du climat (Journal officiel fédéral I page 2513) en combinaison avec l’annexe no 2 demeurent applicables.
5. La République fédérale d’Allemagne est tenue de rembourser aux requérants dans les affaires 1 BvR 96/20 et 1 BvR 288/20, ainsi qu’aux requérants sous 1) à 11) dans l’affaire 1 BvR 2656/18 la moitié des frais exposés par ces derniers. Dans l’affaire 1 BvR 78/20, la République fédérale d’Allemagne est tenue de rembourser aux requérants un quart des frais exposés par ces derniers.
Sommaire
1
A. Faits de l'espèce
2
I. Fondements juridiques2
1. Loi sur le climat3
a) Objectifs de la loi en matière de protection du climat6
b) Type de loi: loi-cadre
7
2. Accord de Paris11
3. Droit de l'Union européenne14
4. Dispositions contestées
16
II. Sources factuelles du changement climatique16
1. Rapports du GIEC18
2. Effet de serre et réchauffement de la planète20
3. Effets pour l'environnement et le climat22
4. Conséquences du réchauffement de la planète et du changement climatique29
5. Sources d'émission
31
III. Fondements factuels de la protection du climat32
1. Limitation de la concentration de CO2 dans l'atmosphère33
2. Réduction des émissions, émissions négatives, adaptation35
3. Dimension des réductions et budget de CO237
4. Efforts nécessaires pour la transformation38
IV. Les recours constitutionnels39
1. Recours constitutionnel dans l'affaire 1 BvR 2656/1840
a) Allégations des requérants47
b) Avis47
aa) Avis du Bundestag allemand54
bb) Avis du groupe parlementaire
BÜNDNIS 90/DIE GRÜNEN55
cc) Avis du gouvernement fédéral
59
2. Recours constitutionnel dans l'affaire 1 BvR 288/2060
a) Allégations des requérants67
b) Avis67
aa) Avis du Bundestag allemand69
bb) Avis du gouvernement fédéral
71
3. Recours constitutionnel dans l'affaire 1 BvR 96/2071
a) Allégations des requérants75
b) Avis75
aa) Avis du Bundestag allemand77
bb) Avis du gouvernement fédéral
78
4. Recours constitutionnel dans l'affaire 1 BvR 78/2079
a) Allégations des requérants85
b) Avis85
aa) Avis du Bundestag allemand89
bb) Avis du gouvernement fédéral
90
B. Recevabilité des recours
91
I. Objets des recours92
1. Griefs95
2. Du fait de l'adoption de la loi, irrecevabilité du grief tiré d'une inaction du législateur
96
II. Qualité pour agir97
1. Devoirs de protection tirés de l'art. 2, al. 2, 1re phrase, de l'art. 14, al. 1 et de l'art. 12, al. 1 LF98
a) Possibilité d'une atteinte aux droits fondamentaux108
b) Atteinte actuelle, personnelle et directe
112
2. Art. 20a LF113
3. « Droit à un minimum vital environnemental » et « droit à un avenir digne »116
4. Garantie de la liberté dans le temps117
a) Possibilité d'une atteinte aux droits fondamentaux117
aa) Effet anticipé sur les droits fondamentaux123
bb) Dispositions de la loi sur le climat menaçant les droits fondamentaux126
cc) Motivation de l'argumentation
129
b) Atteinte actuelle, personnelle et directe130
aa) Atteinte actuelle131
bb) Atteinte personnelle133
cc) Atteinte directe
135
5. Droit fondamental à un mode de vie ménageant le clima et l'environnement136
6. Qualité pour agir, pour motifs altruistes, des associations de défense de l'environnement
138
III. Épuisement des voies de recours139
IV. Subsidiarité au sens large141
V. Dispositions non entièrement déterminées par le droit de l'Union
142
C. Bien-fondé des recours143
I. Devoirs de protection à l'encontre des requérants vivant en Allemagne144
1. Devoir de protection découlant de l'art. 2, al. 2, 1re phrase LF144
a) Devoir de protection145
aa) Devoir général de protection découlant de l'art. 2, al. 2, 1re phrase LF147
bb) Devoir spécifique de protection en matière du changement climatique
151
b) Violation152
aa) Conditions153
bb) Application des normes juridiques au cas de l'espèce
154
(1) Mesures de protection entièrement manquantes ou manifestement inadaptées157
(2) Mesures de protection entièrement insuffisantes158
(3) Mesures de protection restant nettement en deçà de l'objectif de protection159
(a) Objectif de l'accord de Paris (§ 1, 3e phrase KSG)166
(b) Exigences en matière de réduction des émissions (§ 3, al. 1, 2nde phrase, § 4 al. 1, 3e phrase KSG)169
(c) Mesures concrètes de réduction
171
2. Devoir de protection tiré de l'art. 14, al. 1 LF171
a) Devoir de protection172
b) Violation
173
II. Devoir de protection à l'encontre des requérants vivant au Bangladesh et au Népal174
1. Devoir de protection176
2. Nécessité d'adapter ce devoir aux conditions particulières180
3. Violation182
III. Garantie de la liberté dans le temps
184
1. Effet anticipé sur les droits fondamentaux, nécessité d'une justification184
a) Effet anticipé sur les droits fondamentaux188
b) Exigences en matière de justification
189
aa) Conformité au droit constitutionnel objectif192
bb) Proportionnalité
195
2. Justification au regard du droit constitutionnel196
a) Conformité à l'art. 20a LF197
aa) Obligations découlant de l'art. 20a LF198
(1) Obligation de protéger le climat tirée de l'art. 20a LF199
(2) Dimension internationale de l'art. 20a LF200
(a) Nécessité d'actions à caractère international202
(b) Objection d'une absence d'un lien de causalité
205
(3) Susceptibilité d'être invoquée en justice208
(4) Concrétisation de l'exigence constitutionnelle relative à la température à maintenir
214
bb) Conformité du § 3, al. 1, 2nde phrase et du § 4, al. 1, 3e phrase KSG à l'art. 20a LF
215
(1) Mise en œuvre des critères216
(a) Approche axée sur la notion de budget219
(b) Calcul du budget résiduel220
(c) Incertitudes221
(aa) Budget mondial224
(bb) Budget national228
(cc) Incertitudes allant dans les deux sens229
(dd) Nécessité de prise en compte malgré les incertitudes existantes
230
(2) Application des normes juridiques au cas de l'espèce231
(a) Dépassement du budget calculé par le Conseil d'experts236
(b) Pas de violation de la Constitution du fait des volumes prévus des émissions
238
cc) Pas de violation de la Constitution du fait d'une mise en œuvre insuffisante du § 3, al. 1, 2nde phrase KSG239
dd) Pas d'exigences supplémentaires en matière de rationalité de la loi imposées par l'art. 20a LF240
(1) Devoir d'établir les faits241
(2) Obligation de motivation
242
ee) Devoir de s'efforcer à atteindre l'objectif des 1,5 °C
243
b) Proportionnalité244
aa) Nécessité de précautions ménageant les droits fondamentaux
245
(1) Devoir de limiter les menaces pour la liberté248
(2) Nécessité de prévoir une planification incitant aux développements251
(3) Exigences en matière d'aménagement de la trajectoire de réduction des émissions
256
bb) Dispositions insuffisantes dans le § 4, al. 6 KSG
257
(1) Modalités insuffisantes prévues par le § 4, al. 6, 1re phrase KSG en matière de la trajectoire de réduction259
(2) Art. 80, al. 1, 2e phrase LF
260
(a) Critères261
(b) Application au cas de l'espèce262
(aa) Essentiel d'une ingérence doit être fixé par le législateur263
(bb) Dispositions législatives insuffisantes265
(cc) Pas de compensation du fait d'une simple participation du Bundestag
266
D. Conclusion
266
I. Conséquences juridiques269
II. Frais de la procédure
270
E. Résultat du vote des juges
M o t i f s :
A.
1
Les quatre recours constitutionnels sont dirigés contre certaines dispositions de la loi fédérale du 12 décembre 2019 (Journal officiel fédéral – Bundesgesetzblatt I, p. 2513) relative à la protection du climat (Klimaschutzgesetz, loi sur le climat – KSG), ainsi que contre l’omission d’adopter des mesures supplémentaires pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans leurs recours constitutionnels, les requérants soutiennent notamment que l’État n’a pas adopté de dispositions suffisantes pour une réduction rapide des gaz à effet de serre, en particulier de dioxyde de carbone (CO2), lesquelles seraient pourtant nécessaires pour contenir l’augmentation de la température planétaire en dessous de 1,5 °C ou du moins nettement en deçà de 2 °C. Ils contestent des dispositions concrètes de la loi sur le climat et affirment que la réduction des émissions de CO2 qui y est prévue ne permet pas de respecter le « budget résiduel de CO2 » correspondant au seuil des 1,5 °C d’augmentation de la température. Les requérants fondent leurs recours constitutionnels en particulier sur les devoirs de protection de l’État découlant des droits fondamentaux et tirés de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase et de l’article 14, alinéa 1 de la Loi fondamentale (Grundgesetz – LF), sur deux droits fondamentaux que les requérants veulent déceler dans l’article 2, alinéa 1 LF combiné à l’article 20a LF et dans l’article 2, alinéa 1 LF combiné à l’article 1, alinéa 1, 1re phrase LF et qui consacreraient respectivement un droit à un avenir digne et un droit à un minimum vital environnemental (ökologisches Existenzminimum), ainsi que sur les libertés en général, en ce qui concerne les obligations futures de réduction des émissions postérieurement à 2030.
I.
2
1. La loi du 12 décembre 2019 relative à la protection du climat répond à la nécessité constatée par le législateur de renforcer les efforts en cette matière (cf. document du Bundestag no 19/14337, p. 17).
3
a) Dans le but de garantir une protection contre les effets du changement climatique planétaire, la loi vise à assurer le respect des objectifs nationaux pour la protection du climat, ainsi que de ceux formulés à l’échelon européen (§ 1, 1re phrase KSG). Selon son § 1, 3e phrase, la loi sur le climat se fonde d’une part sur l’obligation découlant de l’accord de Paris (cf. la loi du 28 septembre 2016 relative à l’accord de Paris du 12 décembre 2015, Journal officiel fédéral II, p. 1082, Recueil des Traités des Nations Unies No 54113), selon laquelle, afin de limiter autant que possible les effets du changement climatique planétaire, l’augmentation de la température moyenne de la planète doit être contenue nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de préférence en dessous de 1,5 °C, et d’autre part sur l’engagement de la République fédérale d’Allemagne de viser d’ici 2050 la neutralité en matière de gaz à effet de serre en tant qu’objectif à long terme.
4
Les objectifs concrets en matière de protection du climat sont définis par le § 3, alinéa 1 KSG contesté ici : Il dispose que les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites progressivement ; d’ici l’année 2030, elles devront diminuer d’au moins 55 % par rapport au niveau de 1990. Ce taux de réduction s’applique à toutes les émissions de gaz à effet de serre (cf. document du Bundestag no 19/14337, p. 19) ; le § 3, alinéa 1 KSG ne fait pas de distinction entre les émissions produites dans des domaines relevant du système d’échange de quotas d’émission et les émissions produites dans le domaine de la répartition des efforts tel qu’il est régi par le règlement (UE) 2018/842 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l’action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris et modifiant le règlement (UE) no 525/2013 (cf. JO L 156/26, ci-après règlement relatif au climat). Le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2, que les requérants contestent également, fixe pour différents secteurs les volumes annuels d’émission correspondant aux taux de réduction des émissions d’ici 2030. Il en résulte une trajectoire concrète de réduction des émissions jusqu’en 2030. Ne sont toutefois pas incluses les émissions de gaz à effet de serre dues aux changements dans l’affectation des sols et à l’exploitation forestière, ainsi que les émissions imputables à l’Allemagne dues au transport aérien et maritime international (cf. document du Bundestag no 19/14337, p. 26 sq.).
5
Avec le § 3, alinéa 1 KSG, le législateur a codifié les objectifs en matière de protection du climat antérieurement prévus dans des plans et programmes pour la période à compter de 2020. Pour la période allant jusqu’en 2020, l’Allemagne s’était fixée le but de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport au niveau de 1990. Selon le gouvernement fédéral, ce but faisait partie de l’objectif à long terme d’éviter que la planète ne se réchauffe de plus de 2 °C (cf. Ministère fédéral de l’Environnement, de la Protection de la Nature et de la Sécurité nucléaire, Bundesministerium für Umwelt, Naturschutz und nukleare Sicherheit – BMU, Programme d’action Climat 2020, Aktionsprogramm Klimaschutz 2020, Décision en conseil des ministres du 3 décembre 2014, p. 7 sq.). Pour la période à partir de 2020, le fondement des objectifs pour protéger le climat était, déjà avant l’adoption de la loi sur le climat, le Plan Climat 2050 (BMU, Plan Climat 2050 : Principes et objectifs du gouvernement fédéral en matière de politique de protection du climat, Klimaschutzplan 2050 : Klimaschutzpolitische Grundsätze und Ziele der Bundesregierung, 2016) et le Programme Climat 2030 (Programme Climat 2030 du gouvernement fédéral pour la mise en œuvre du Plan Climat 2050, Klimaschutzprogramm 2030 der Bundesregierung zur Umsetzung des Klimaschutzplans 2050, 8 octobre 2019). Le Plan Climat 2050 vise à la réalisation de l’objectif à long terme de réduire d’ici 2050 les émissions de 80 à 95 % par rapport au niveau de 1990. En même temps, il prévoit une trajectoire de réduction des émissions devant permettre d’atteindre cet objectif. À l’instar de ce que dispose l’actuel § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG, le Plan Climat 2050 prévoit qu’en 2030, les émissions de gaz à effet de serre auront dû être réduites d’au moins 55 % par rapport au niveau de 1990. En 2040, ce taux doit avoir atteint 70 % – un tel objectif à l’horizon 2040 ne figure pas dans la loi sur le climat. Pour mettre en œuvre le Plan Climat 2050, le gouvernement fédéral a arrêté le Programme Climat 2030. À la différence de ce qui était prévu par le Plan Climat 2050 en ce qui concerne l’objectif à long terme à réaliser d’ici 2050, le Programme Climat 2030 ne vise plus une « réduction des émissions de 80 à 95 % par rapport au niveau de 1990 », mais fait référence à l’objectif de neutralité en matière de gaz à effet de serre d’ici 2050.
6
b) La loi sur le climat revêt le caractère d’une loi-cadre et vise à rendre transparentes les mesures à prendre dans de différents secteurs pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’exposé des motifs du projet de loi élaboré par le gouvernement explique :
« Du fait des objectifs de protection du climat codifiés dans la loi ainsi que des volumes annuels d’émission permis par secteur et décroissant annuellement, les réductions nécessaires des émissions de gaz à effet de serre deviennent prévisibles. Cette disposition législative claire garantit une sécurité en matière de planification. Sur la base des objectifs fixés par secteur par le Plan Climat 2050, les responsabilités sont ce faisant assignées en ce qui concerne l’observation de ces objectifs dans les différents secteurs. Cela permet d’assurer le respect des objectifs en matière de protection du climat à l’horizon 2030 et de mettre en œuvre les exigences européennes en la matière.
Dans une telle loi-cadre, sont couchés les objectifs et les principes de la politique en matière de protection du climat – à l’instar de ce qui est prévu pour la politique budgétaire dans la loi relative aux principes budgétaires. Une telle démarche ne réduit pas directement les émissions de CO2, mais elle donne un fondement solide et rend contraignante la politique en matière de la protection du climat. Afin de réellement atteindre les objectifs fixés, doivent être prises dans les différents secteurs les mesures de protection du climat qui ont été décidées par le gouvernement fédéral dans le Programme Climat 2030 pris sur le fondement du Plan Climat 2050. Cela rendra nécessaire la modification de lois techniques dans différents domaines » (document du Bundestag no 19/14337, p. 17).
7
2. Déjà auparavant, le 4 novembre 2016, l’accord de Paris est entré en vigueur. À l’article 2, paragraphe 1, a) de ce dernier figure la stipulation de contenir l’augmentation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de s’efforcer pour contenir cette augmentation en dessous de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ; avec le § 1, 3e phrase KSG, le législateur allemand s’est référé à cette disposition.
8
L’article 2 de l’accord de Paris dispose […] :
(1) Le présent Accord, en contribuant à la mise en œuvre de la Convention, notamment de son objectif, vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, notamment en :
a) contenant l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques ;
b) renforçant les capacités d'adaptation aux effets néfastes des changements climatiques et en promouvant la résilience à ces changements et un développement à faible émission de gaz à effet de serre, d'une manière qui ne menace pas la production alimentaire ;
c) rendant les flux financiers compatibles avec un profil d'évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques.
(2) Le présent Accord sera appliqué conformément à l'équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales.
9
L’accord de Paris ne fixe ni le taux de réduction des émissions de gaz à effet de serre ni le volume maximal des émissions à respecter pour réaliser l’objectif visé. Au contraire, il appartient aux parties à l’accord d’adopter les mesures nécessaires à cette fin. Selon l’article 4, paragraphe 2, 1re phrase de l’accord, les parties sont tenues d’établir et de communiquer les « contributions déterminées au niveau national » qu’elles comptent réaliser. Selon l’article 4, paragraphe 2, 2nde phrase, les parties doivent prendre des mesures nationales d’atténuation en vue de réaliser ces contributions. Tous les cinq ans, chaque partie communique une contribution déterminée au niveau national (article 4, paragraphe 9). Selon l’article 3 de l’accord, il incombe à toutes les parties, en vue de réaliser l’objectif visé à l’article 2 de l’accord, d’engager des efforts ambitieux qui progresseront avec le temps (article 3, 2nde phrase, article 4, paragraphe 3). L’Union européenne s’est ainsi engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % par rapport au niveau de 1990 (Décision d’exécution (UE) 2020/2126 de la Commission du 16 décembre 2020 relative à la fixation des quotas annuels d’émission des États membres pour la période 2021-2030 en application du règlement (UE) 2018/842 du Parlement européen et du Conseil, JO L 426/58).
10
Les Nations Unies ont évalué les contributions établies en vertu de l’accord de Paris. Le Secrétariat de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques a conclu dans son rapport que le volume des émissions auquel il faut s’attendre jusqu’en 2030 à l’échelon mondial était incompatible avec toute trajectoire de réduction visant à limiter l’augmentation de la température moyenne de la planète à 1,5 °C, voire à 2 °C (Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques – CCNUCC, Conférence des Parties, Effet global des contributions prévues déterminées au niveau national : mise à jour, Doc FCCC/CP/2016/02 du 2 mai 2016, p. 9 sqq., Figure 2 à la page 13). Les émissions prévues correspondraient plutôt à une trajectoire conduisant à une augmentation de la température de 3 °C d’ici 2100 (GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, 2018, p. 18, D1.1).
11
3. L’objectif de protection du climat, défini par l’Union européenne pour la période entre 2021 et 2030, de réduire les émissions de gaz à effet de serre à l’échelon européen de 40 % par rapport au niveau de 1990 doit être réalisé au moyen d’une réduction par rapport au niveau de 2005 de 43 % des émissions dans les domaines relevant du système d’échange de quotas d’émission et de 30 % des émissions dans les domaines ne relevant pas de ce système (cf. Conseil européen, EUCO 169/14, Réunion du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014 – Conclusions, 2014, p. 1). L’objectif visé par l’Union européenne en la matière a récemment été porté de 40 % à 55 % (cf. Conseil européen, EUCO 22/20, Réunion du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020 – Conclusions, 2020, p. 5).
12
Le domaine du système d’échange de quotas d’émission comprend les émissions provenant des grandes installations de combustion, des industries à grande consommation d’énergie ainsi que, depuis 2012, du trafic aérien. La directive actuelle relative à l’échange de quotas d’émission (directive (UE) 2018/410 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2018 modifiant la directive 2003/87/CE afin de renforcer le rapport coût-efficacité des réductions d’émissions et de favoriser les investissements à faible intensité de carbone, et la décision (UE) 2015/1814, JO L 76/3) dispose, en ce qui concerne le système d’échange de quotas d’émission, que le volume global des quotas disponibles doit diminuer de manière linéaire à partir de 2021, afin de réaliser ainsi la réduction des émissions visée (cf. considérant no 2 de la directive (UE) 2018/410). À cet égard, aucun taux de réduction concret n’est imposé aux États membres individuels.
13
Le domaine de la répartition des efforts englobe quant à lui la majeure partie des émissions qui ne relèvent pas du système d’échange de quotas. Dans ce domaine, chaque État membre établit d’emblée un taux de réduction défini par un pourcentage. Le domaine de la répartition des efforts était initialement réglé pour la période entre 2013 et 2020 par la décision dite « sur la répartition des efforts » (décision no 406/2009/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à l’effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu’en 2020, JO L 140/136). Pour la période allant de 2021 à 2030, les réductions des émissions relevant du domaine de la répartition des efforts sont régies par le Règlement relatif au climat. Pour l’Allemagne, il résulte de la combinaison de l’article 4, paragraphe 1 et de l’annexe I de ce règlement qu’elle doit réduire d’ici 2030 ses émissions de gaz à effet de serre relevant du domaine de la répartition des efforts de 38 % par rapport au niveau de 2005. À cet égard, le règlement ne se borne pas à fixer un objectif, mais il détermine en même temps une trajectoire d’ensemble concrète pour la réduction des émissions. Cette trajectoire établit pour chaque année la réduction que l’État membre en question doit au minimum réaliser. Pour ce faire, la trajectoire détermine un plafond uniforme pour toutes les émissions entrant dans son champ d’application. Les États membres sont libres de se fixer des objectifs plus ambitieux. En outre, le règlement prévoit dans son article 5 différents mécanismes de flexibilité. Ainsi, l’article 5, paragraphes 1 à 3 permet aux États membres d’équilibrer dans leur propre budget les objectifs dépassés et les objectifs non atteints. De plus, l’article 5, paragraphes 4 et 5 prévoit la possibilité d’une péréquation entre les États membres.
14
4. Font l’objet au moins de l’un des recours constitutionnels respectivement le § 3, alinéa 1, le § 4, alinéa 1 combiné aux annexes nos 1 et 2, le § 4, alinéa 3, 2ndephrase KSG combiné à l’article 5 du règlement relatif au climat, le § 4, alinéas 5 et 6, ainsi que le § 8 et le § 9 KSG. Les dispositions contestées énoncent ce qui suit :
§ 3 Objectifs nationaux de protection du climat
(1) Les émissions de gaz à effet de serre sont progressivement réduites par rapport à leur niveau en 1990. D’ici l’année 2030, un taux de réduction des émissions d’au moins 55 pour cent s’applique.
[…]
§ 4 Volume licite des émissions annuelles, habilitation de légiférer par décrets
(1) En vue de réaliser les objectifs nationaux de protection du climat définis au § 3, alinéa 1, les objectifs annuels de réduction sont déterminés au moyen de la fixation de volumes annuels d’émission pour les secteurs suivants :
1. Secteur de l’énergie,
2. Industrie,
3. Transports,
4. Bâtiments,
5. Agriculture,
6. Gestion des déchets et autres catégories.
Les sources d’émission dans les différents secteurs et leur délimitation sont définies à l’annexe no 1. Les volumes annuels d’émission jusqu’en 2030 sont fixés à l’annexe no 2. Dans le secteur de l’énergie, les émissions de gaz à effet de serre doivent si possible diminuer continûment. Pour les périodes à compter de l’année 2031, les objectifs annuels de réduction sont ajustés par décret en vertu de l’alinéa 6. Dans la mesure où la présente loi y fait référence, les volumes annuels d’émission sont contraignants. Des droits subjectifs ou des droits qu’il est possible de faire valoir en justice ne sont pas établis par la présente loi ou sur le fondement de la présente loi.
[…]
(3) Lorsqu’à compter de l’année 2021, les émissions de gaz à effet de serre d’un secteur dépassent le ou restent en deçà du volume licite des émissions, la différence est imputée uniformément sur les volumes annuels résiduels du secteur concerné jusqu’à la prochaine échéance visée au § 3, alinéa 1. Les exigences formulées par le règlement européen relatif au climat ne sont pas affectées par la présente disposition.
[…]
(5) […]
(6) En l’an 2025, le gouvernement fédéral doit fixer par décret pour de nouvelles périodes à compter de 2030 des volumes d’émission décroissant annuellement. Ces derniers doivent être conformes à la réalisation des objectifs de protection du climat déterminés par la présente loi, ainsi qu’aux exigences définies par le droit de l’Union. Lorsque des volumes d’émission décroissant annuellement sont fixés pour les périodes postérieures à 2030, le décret requiert l’approbation du Bundestag allemand. Si le Bundestag allemand n’a pas délibéré sur le décret après écoulement de six semaines de séance, le décret est réputé approuvé dans sa rédaction non amendée.
Annexe no 1 (relatif aux §§ 4 et 5) Secteurs
[…]
Annexe no 2 (relatif au § 4) Volumes d’émission annuels licites
Volume annuel d'émission en millions de tonnes en équivalent CO2 | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | 2024 | 2025 | 2026 | 2027 | 2028 | 2029 | 2030 |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Secteur de l’énergie | 280 | 257 | 175 | ||||||||
Industrie | 186 | 182 | 177 | 172 | 168 | 163 | 158 | 154 | 149 | 145 | 140 |
Bâtiments | 118 | 113 | 108 | 103 | 99 | 94 | 89 | 84 | 80 | 75 | 70 |
Transports | 150 | 145 | 139 | 134 | 128 | 123 | 117 | 112 | 106 | 101 | 95 |
Agriculture | 70 | 68 | 67 | 66 | 65 | 64 | 63 | 61 | 60 | 59 | 58 |
Gestion des déchets et autres catégories | 9 | 9 | 8 | 8 | 7 | 7 | 7 | 6 | 6 | 5 | 5 |
[…]
15
[…]
II.
16
1. Le contexte factuel du changement climatique anthropique, ainsi que les effets et les risques engendrés par ce changement sont décrits dans les rapports d’évaluation et les rapports spéciaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ces rapports sont considérés comme constituant des résumés fiables de l’état actuel des connaissances relatives au changement climatique et sont à ce titre consultés par le Ministère fédéral de l’Environnement, de la Protection de la Nature et de la Sécurité nucléaire (BMU), par l’Office fédéral de l’Environnement (Umweltbundesamt – UBA), par le Conseil allemand d’experts en matières environnementales (ci-après : Conseil d’experts) ou encore par l’Union européenne, ainsi qu’à l’échelon international. Le GIEC est une commission intergouvernementale créée en 1988 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et l’Organisation météorologique mondiale (OMM) (Mémorandum d’accord du 8 mai 1989 entre le PNUE et l’OMM relatif au GIEC) et confirmée par l’Assemblée générale des Nations Unies (Résolution de l’Assemblée générale 43/53 du 6 décembre 1988, Protection du climat mondial pour les générations présentes et futures, E 5).
17
La mission du GIEC est de présenter de manière exhaustive et objective l’état de la recherche scientifique portant sur le changement climatique et de fournir ainsi une base pour des décisions fondées sur la science. À cette fin, il compile les conclusions de la documentation scientifique, technique et socio-économique publiée partout dans le monde. Le GIEC n’a pas vocation à effectuer des recherches scientifiques, mais il résume les contenus de ces publications au moyen de rapports d’évaluation et de rapports spéciaux et les apprécie d’un point de vue scientifique. Les auteurs doivent convenir de l’évaluation respective de l’état des faits en indiquant le degré de confiance des informations et clairement mentionner les points de vue contraires, les lacunes et les incertitudes (cf. pour plus de détails, Note d’orientation à l’intention des auteurs principaux du cinquième Rapport d’évaluation du GIEC sur le traitement uniforme des incertitudes, 2010 ; cf. également GIEC ; Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, 2018, p. 6, note 3). Les conclusions sont ensuite examinées à leur tour par des experts indépendants ; ensuite, le résumé à l’intention des décideurs est adopté en séance plénière par les gouvernements des pays membres. Dans ce cadre, seules peuvent être utilisées des informations qui sont également contenues dans le rapport complet. Les équipes d’auteurs constituées selon l’expertise scientifique de ces derniers décide si les reformulations proposées par les gouvernements sont correctes (cf. pour plus de détails, GIEC, Procédures à suivre pour l’élaboration, l’examen, l’acceptation, l’adoption, l’approbation et la publication des rapports du GIEC, 2013 ; […]).
18
2. Le réchauffement actuel de la planète, dont une comparaison historique montre qu’il s’accélère fortement, est, selon l’avis quasiment unanime des scientifiques, dû pour l’essentiel au changement de la composition chimique de l’atmosphère provoqué par les émissions anthropiques ; à ce titre, l’augmentation de la concentration de CO2 fait l’objet d’une attention particulière (GIEC, cinquième Rapport d’évaluation, Changements climatiques 2013, Les éléments scientifiques, Résumé à l’intention des décideurs, 2016, p. 11 ; UBA, Le climat et l’effet de serre, Klima und Treibhauseffekt, 2020, p. 2 sq.). La concentration de CO2 dans l’atmosphère a augmenté de 40 % par rapport au niveau préindustriel, ce qui s’explique en premier lieu par les émissions dues à l’utilisation de combustibles fossiles et en second lieu aux déforestations et autres changements d’utilisation des sols (GIEC, op. cit., p. 9).
19
Les liens de causalité déterminants peuvent être résumés, en simplifiant, comme suit : L’augmentation causée par l’activité humaine de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère modifie le bilan radiatif de la Terre et provoque ainsi un réchauffement de la planète. Les gaz à effet de serre dans l’atmosphère absorbent le rayonnement thermique de la Terre et en renvoient une partie vers la surface terrestre. Le rayonnement thermique renvoyé par les gaz à effet de serre arrive donc à la surface de la Terre en tant que rayonnement thermique supplémentaire. Afin d’équilibrer rayonnement reçu et rayonnement émis, la surface terrestre émet plus de rayonnement, ce qui entraîne un réchauffement de l’atmosphère au niveau du sol (GIEC, op. cit., p. 11 sq. ; Rahmstorf/Schellnhuber, Der Klimawandel, 9e éd. 2019, p. 12 sq., 30 sqq. ; UBA, Le climat et l’effet de serre, Klima und Treibhauseffekt, 2020, p. 2). La question de savoir jusqu’à quel niveau et à quelle vitesse la température continuera d’augmenter dépend du pourcentage des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et donc dans une large mesure du volume des gaz à effet de serre dont l’émission est anthropique, en particulier l’émission de CO2 (GIEC, op. cit., p. 17 sq., p. 26). En effet, il existe entre le volume total des émissions de gaz à effet de serre ayant un impact sur le climat et l’augmentation de la température moyenne de la surface terrestre une corrélation linéaire (Conseil d’experts, La gouvernance démocratique dans les limites écologiques – Sur la légitimation de la politique environnementale, Demokratisch regieren in ökologischen Grenzen ‒ Zur Legitimation von Umweltpolitik, Rapport spécial, 2019, p. 36). Sans mesures supplémentaires pour lutter contre le changement climatique, une augmentation de la température de plus de 3 °C d’ici 2100 est actuellement considérée comme probable (BMU, La protection du climat en chiffres, Klimaschutz in Zahlen, édition 2019, p. 6 sq.).
20
3. L’effet de serre engendre des effets multiples en ce qui concerne l’environnement et le climat planétaire. Sont par exemple touchées les masses glaciaires (cryosphère). Le réchauffement planétaire conduit à une perte de la banquise dans les mers polaires et à une perte de masse de la calotte glaciaire au Groenland et en Antarctique, ainsi qu’à une diminution des glaciers qui peut dès à présent être observée partout dans le monde. Ces changements contribuent largement à une élévation du niveau des mers (GIEC, cinquième Rapport d’évaluation, Changements climatiques 2013, Les éléments scientifiques, Résumé à l’intention des décideurs, 2016, p. 9, p. 22 sq. ; Rahmstorf/Schellnhuber, Der Klimawandel, 9e éd. 2019, pp. 57, 59, 63 sq.). À l’horizon 2100, les projections basées sur un réchauffement planétaire de 1,5 °C suggèrent une élévation moyenne du niveau de la mer à l’échelle mondiale de 26 à 77 cm. En cas de réchauffement de 2 °C, cette élévation augmentera d’environ 10 cm de plus (cf. GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, 2018, p. 9). En outre, il existe des indices indiquant que suite à la perte de la calotte glaciaire du Groenland et à d’autres sources provoquant un flux d’eau douce dans l’Atlantique Nord, la circulation thermohaline dans l’Atlantique Nord (circulation méridienne de retournement de l’Atlantique) s’affaiblira. Un fort affaiblissement aurait un impact considérable sur le système météorologique en Europe et en Amérique du Nord. La région de l’Atlantique Nord se refroidirait rapidement de plusieurs degrés. De l’autre côté, l’hémisphère Sud se réchaufferait d’autant plus. Parmi les autres conséquences attendues figurent pour l’Europe du Nord une augmentation du nombre des tempêtes hivernales, des précipitations et inondations, et pour l’Europe du Sud une baisse des précipitations. Pour le Sahel, les prévisions indiquent une baisse des précipitations et, par conséquent, des sécheresses (GIEC, Rapport spécial sur les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique – conclusions titres, 2020, p. 5 ; Rahmstorf/Schellnhuber, Der Klimawandel, 9e éd. 2019, p. 66 sq. ; Conseil d’experts, La gouvernance démocratique dans les limites écologiques – Sur la légitimation de la politique environnementale, Demokratisch regieren in ökologischen Grenzen ‒ Zur Legitimation von Umweltpolitik, Rapport spécial, 2019, p. 38 ; GIEC, Rapport spécial : Les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique Special Report : The Ocean and the Cryosphere in a Changing Climate, 2019, pp. 618, 621 sq.). Le réchauffement de la Terre dû au changement climatique a également des répercussions sur la position et la puissance du courant-jet et donc aussi sur les vents dans le monde, ce qui peut conduire à des situations et des phénomènes météorologiques extrêmes et à durée particulièrement longue, tels que des pluies torrentielles, des inondations, des cyclones, des vagues de chaleur ou encore des sécheresses (Rahmstorf/Schellnhuber, op. cit., pp. 68 sqq., 72 ; Conseil d’experts, op. cit., p. 38 sq.).
21
Les processus dits de « points de basculement » au sein du système climatique sont considérés comme une menace particulière pour la stabilité écologique, car ils peuvent avoir des conséquences profondes pour l’environnement. Les domaines concernés par le phénomène des points de basculement sont les éléments du système terrestre qui revêtent une importance particulière pour le climat planétaire et qui peuvent se transformer abruptement et souvent irréversiblement en cas de hausse de la pression environnementale. À titre d’exemples peuvent être cités les pergélisols en Sibérie et en Amérique du Nord, les masses glacières des régions polaires, la forêt amazonienne et les principaux systèmes des courants de l’air et des océans. De faibles changements affectant l’un des paramètres environnementaux pertinents en la matière – par exemple le dépassement d’un certain seuil de température – peuvent faire basculer ces éléments vers un état qualitatif différent, si le chiffre d’un paramètre se rapproche d’un point critique, le point de basculement. Entre les éléments pertinents du système climatique peuvent exister des interrelations. Ainsi, la perte de la calotte glaciaire du Groenland pourrait entraîner un impact sur la circulation thermohaline dans l’Atlantique, ce qui à son tour pourrait déstabiliser la situation de la masse de glace en Antarctique. Un changement en cascade du système terrestre provoqué par une série de telles interactions n’est pas exclu, bien qu’il n’ait été que peu étudié jusqu’à présent (au sujet des points de basculement, cf. Conseil d’experts, op. cit., p. 39 sq. et les références qui y sont citées).
22
4. Si la température mondiale augmente de plus de 3 °C d’ici 2100, ce qui est probable si aucune mesure n’est prise pour lutter contre le changement climatique, il faut s’attendre à des conséquences très graves provoquées par le réchauffement de la planète et le changement climatique (BMU, La protection du climat en chiffres, Klimaschutz in Zahlen, édition 2019, p. 6 sq.) ; toutefois, même en cas d’une élévation moins importante de la température, des effets négatifs considérables se feront sentir pour à l’échelle humaine et sociétale (a). En Allemagne aussi, le changement climatique produit déjà de nombreux effets directs, lesquels pourraient s’aggraver sensiblement si le réchauffement de la Terre progressait (b). En outre, l’Allemagne pourrait être indirectement touchée par les effets du changement climatique dans d’autres régions du monde, lorsque ce dernier provoque des flux migratoires vers l’Europe (c).
23
a) Les effets de phénomènes extrêmes récents tels que des vagues de chaleur, des sécheresses, des pluies torrentielles, des inondations, des cyclones, ainsi que des incendies de forêt démontrent selon l’avis des scientifiques que l’homme est particulièrement vulnérable au changement climatique. Les conséquences de tels événements climatiques extrêmes incluent la perturbation de la production alimentaire et de l’approvisionnement en eau, les dommages causés aux infrastructures et aux établissements humains, la morbidité et la mortalité, ainsi que les retombées sur la santé mentale et le bien-être (GIEC, cinquième Rapport d’évaluation, Changements climatiques 2014, Incidences, adaptation, vulnérabilité, Résumé à l’intention des décideurs, 2016, p. 6). Le changement climatique menace surtout la santé humaine. Les changements des conditions météorologiques et climatiques peuvent conduire à une augmentation du nombre de maladies infectieuses et de maladies non transmissibles comme les allergies, ainsi qu’à une aggravation des symptômes de maladies cardiovasculaires et de maladies respiratoires préexistantes. Des événements extrêmes comme des tempêtes, des crues, des avalanches ou encore des glissements de terrain constituent des dangers immédiats pour la vie et l’intégrité physique ; ils peuvent en outre mener à des problèmes sociaux et psychiques et des troubles comme le stress, l’angoisse et les dépressions (UBA, Rapport de suivi 2019 relatif à la stratégie allemande d’adaptation au changement climatique, Monitoringbericht 2019 zur Deutschen Anpassungsstrategie an den Klimawandel, 2019, p. 31).
24
b) Le changement climatique produit déjà de nombreux effets également en Allemagne. Par rapport à l’époque préindustrielle, la température annuelle moyenne y a augmenté jusqu’en 2018 de 1,5 °C (UBA, cit., p. 7). Il existe une probabilité accrue de jours caniculaires. Dès à présent, le changement climatique engendre, par les canicules qu’il provoque, des dangers pour la santé humaine, y compris en Allemagne (cf. gouvernement fédéral, Second rapport d’avancement relatif à la stratégie allemande d’adaptation au changement climatique, Zweiter Fortschrittsbericht zur Deutschen Anpassungsstrategie an den Klimawandel, 2020, p. 11 ; cf. également UBA, La vulnérabilité de l'Allemagne au changement climatique, Vulnerabilität Deutschlands gegenüber dem Klimawandel, 2015, p. 603). La durée des épisodes caniculaires estivaux en Europe occidentale a à peu près triplé depuis 1880. Sans réduction des émissions de gaz à effet de serre, les projections climatiques laissent attendre une aggravation sensible de ces développements. Le nombre des vagues de chaleur pourrait, dans le pire des cas, augmenter d’ici à la fin du siècle de cinq événements par an en Allemagne du Nord et de jusqu’à 30 événements par an en Allemagne du Sud. La probabilité de nouveaux records de température devrait augmenter considérablement. En particulier en ce qui concerne la période estivale, un décuplement de tels événements est considéré un scénario réaliste (Deutschländer/Mächel, in : Brasseur/Jacob/Schuck-Zöller <éd.>, Klimawandel in Deutschland, 2017, p. 55).
25
L’élévation du niveau de la mer aura lui aussi un impact en Allemagne. Dans les 100 dernières années, ce niveau a augmenté d’environ 20 cm sur la côte de la Mer du Nord et d’environ 14 cm sur la côte de la Mer Baltique (Service météorologique allemand Deutscher Wetterdienst, Rapport national relatif au climat, Nationaler Klimareport, 2017, p. 5). Sans réduction des émissions, les prévisions indiquent une élévation du niveau de la mer nettement au-dessus d’un mètre d’ici la fin du siècle, étant entendu que ces prévisions ne prennent pas en considération la perte des calottes glaciaires (Deutscher Wetterdienst, op. cit., p. 29). Des changements à long terme du niveau moyen de la mer sont susceptibles d’augmenter considérablement la possibilité d’ondes de tempête particulièrement fortes (Weiße/Meinke, in : Brasseur/Jacob/Schuck-Zöller <éd.>, Klimawandel in Deutschland, 2017, p. 78). Dès lors, les côtes allemandes se trouvent exposées à un risque accru d’inondations. Sur le littoral allemand de la Mer du Nord, sont considérées comme régions menacées les zones situées à une altitude de jusqu’à cinq mètres au-dessus du niveau de la mer, et sur le littoral de la Mer Baltique les zones jusqu’à trois mètres au-dessus du niveau de la mer. Cela signifie que sont concernés des territoires d’une superficie de 13 900 kilomètres carrés, avec une population de 3,2 millions de personnes. Sont notamment menacées par des ondes de tempête des villes côtières comme Hambourg, Brême, Kiel, Lübeck, Rostock ou encore Greifswald (UBA, Rapport de suivi 2019 relatif à la stratégie allemande d’adaptation au changement climatique, Monitoringbericht 2019 zur Deutschen Anpassungsstrategie an den Klimawandel, 2019, p. 72).
26
Dès à présent, les effets du changement climatique se manifestent en Allemagne en ce qui concerne la recharge des nappes phréatiques (UBA, op. cit., p. 48). La hausse des températures conduit à une plus forte évaporation des eaux, ce qui a pour conséquence que moins d’eau infiltre les sols et recharge la nappe phréatique. En comparaison avec la moyenne à long terme, le nombre de mois avec un niveau de la nappe phréatique en-dessous de la moyenne augmente. Une tendance particulièrement forte en ce sens peut être constatée dans les régions aux faibles précipitations dans le Nord-Est de l’Allemagne, notamment le Brandebourg, la Saxe-Anhalt et le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale. Mais même dans des régions à fortes précipitations, comme les régions de moyenne montagne ou les Alpes, la nappe phréatique baisse perceptiblement (UBA, op. cit., p. 48 sq.). Le changement climatique influence également dans d’autres domaines le régime des eaux en Allemagne. Ainsi, la disponibilité en eau diminue sensiblement durant la saison d’été et la température de l’eau des lacs augmente, tout comme celle de l’eau de la Mer du Nord et de la Mer Baltique (UBA, op. cit. pp. 51 sq., 56 sq., 60 sq., 82).
27
Un problème particulier est l’augmentation des sécheresses observée en Allemagne. Le dessèchement des sols qui s’ensuit a des conséquences surtout pour l’agriculture. L’humidité du sol est déterminante pour le degré de l’alimentation en eau des plantes. Si l’humidité du sol chute en dessous de 30 % à 40 % de la ‘capacité au champ utile’, la photosynthèse végétale et, dès lors, la croissance des plantes, diminuent fortement. En moyenne, le nombre de jours avec une humidité des sols en dessous de 30 % de la capacité au champ utile a significativement augmenté en Allemagne depuis 1961 et ce, tant pour les sols légers sablonneux que pour les sols lourds, lesquels conservent mieux l’eau. L’Est de l’Allemagne et la région Rhin-Main sont particulièrement touchés par l’aridité croissante des sols (UBA, op. cit., p. 26).
28
c) Le changement climatique constitue en outre une cause importante de mouvements de migration. Les migrants quittent leur patrie également suite à des catastrophes naturelles et des changements environnementaux à long terme comme le nombre croissant de sécheresses ou l’élévation du niveau de la mer. Outre la santé humaine, les changements affectent également la production et l’approvisionnement alimentaires. Le risque de famines augmente. En même temps, le changement climatique aggrave les inégalités sociales et risque de susciter des conflits violents, lorsque s’accentuent les rivalités liées à l’eau, aux aliments et aux terres de pâturage. L’intensification du réchauffement amplifie l’exposition des zones côtières de faible altitude, des deltas et des petites îles aux risques liés à l’élévation du niveau de la mer, parmi lesquels figurent l’accroissement des invasions d’eau salée, des inondations et des dégâts causés aux infrastructures. L’inondation régulière ou durable d’îles et de zones côtières provoquée par l’élévation du niveau de la mer poussera les populations qui y vivent à quitter ces contrées. Les changements climatiques croissants aggravent donc les flux de réfugiés partout dans le monde et pourraient conduire à intensifier les mouvements de migration en direction de l’Europe (à ce sujet Conseil scientifique consultatif du gouvernement fédéral sur les changements environnementaux mondiaux, Rapport spécial : La protection du climat en tant que mouvement citoyen mondial, Sondergutachten : Klimaschutz als Weltbürgerbewegung, 2014, pp. 30, 64 ; Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés – UNHCR, Le changement climatique, les catastrophes naturelles et les déplacements humains, 2017, p. 1 sqq. ; GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, 2018, p. 10 ; UBA, La protection du climat en chiffres, Klimaschutz in Zahlen, édition 2019, 19 ; Rahmstorf/Schellnhuber, Der Klimawandel, 9e éd. 2019, pp. 71, 75 ; UNHCR, Rapport global 2019, p. 29 sq.).
29
5. Du point de vue historique, plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre anthropiques ont été causées depuis le début de l’industrialisation par les pays aujourd’hui industrialisés. Ces dernières années, ont également fortement progressé les émissions causées par les pays émergents. À l’heure actuelle, les pollueurs les plus importants à cet égard sont les États-Unis, l’Union européenne, la Chine, la Russie et l’Inde. Historiquement, l’Allemagne est responsable pour 4,6 % des émissions de gaz à effet de serre. Avec 9,2 tonnes de CO2 par habitant, les émissions de CO2 en 2018 en Allemagne sont presque deux fois plus élevées que la moyenne mondiale s’élevant à 4,97 tonnes par personne (BMU, La protection du climat en chiffres, Klimaschutz in Zahlen, édition 2020, p. 12).
30
Actuellement, l’Allemagne, qui représente 1,1 % de la population mondiale, contribue à raison de près de 2 % aux émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre. Cela étant, ces émissions ont baissé depuis 1990 : Alors qu’en 1990, étaient émises 1,251 gigatonnes de gaz à effet de serre, ce chiffre ne s’élevait plus qu’à environ 0,805 gigatonnes en 2019 (BMU, op. cit., pp. 12 sq., 26, étant entendu qu’il y est mentionné que tous les chiffres fournis pour l’année 2019 sont des estimations). Le secteur de l’énergie a causé le plus d’émissions en 2019. Celles-ci proviennent pour l’essentiel de la combustion d’agents énergétiques fossiles dans les centrales. Par rapport au niveau atteint en 1990, les émissions de gaz à effet de serre dans ce secteur ont été réduites de 45 % jusqu’en 2019 (BMU, op. cit., p. 29 sqq.). Le secteur industriel était en 2019 le deuxième émetteur de gaz à effet de serre en Allemagne. Ces gaz sont surtout émis dans des filières à haute consommation d’énergie comme celles de l’acier, de l’industrie chimique, de l’industrie des métaux non ferreux, du ciment, de la chaux, du verre et du papier, ainsi que pour l’approvisionnement en électricité du secteur industriel. Par rapport à 1990, elles avaient en 2019 baissé de 34 % (BMU, op. cit., p. 33 sqq.). En troisième position figurait en 2019 le secteur des transports, au sein duquel le trafic routier motorisé était responsable de 94 % des émissions. En comparaison avec le niveau en 1990, les émissions produites par le secteur des transports avaient, en 2019, baissé de 0,1 % (BMU, op. cit., p. 36 sqq.). Ces chiffres ne tiennent pas compte du trafic aérien et maritime international, dont les émissions ont augmenté par rapport à 1990 (à ce sujet, UBA, Rapport en vertu de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et du Protocole de Kyoto 2020 : Rapport d’inventaire national relatif à l’inventaire allemand des gaz à effet de serre 1990 – 2018, Berichterstattung unter der Klimarahmenkonvention der Vereinten Nationen und dem Kyoto-Protokoll 2020 : Nationaler Inventarbericht zum Deutschen Treibhausgasinventar 1990 ‒ 2018, 2020, p. 162). Le secteur des transports est suivi de celui des bâtiments. Sont imputées à ce dernier les émissions causées par les ménages, ainsi que celles produites par l’artisanat, le commerce et les prestations de services. Les émissions sont ici pour l’essentiel causées par la combustion d’agents énergétiques fossiles pour le chauffage de locaux et la préparation d’eau chaude, et en 2019, elles avaient diminué de 42 % par rapport à leur niveau en 1990 (UBA, La protection du climat en chiffres, Klimaschutz in Zahlen, édition 2020, p. 40 sq.). Dans le secteur de l’agriculture, les émissions de gaz à effet de serre sont causées pour l’essentiel par l’utilisation des sols et l’élevage des animaux. Les gaz à effet de serre pertinents dans ce secteur sont surtout le gaz méthane et le protoxyde d’azote. En 2019, les émissions dans ce secteur avaient diminué de 24 % par rapport à leur niveau en 1990 (BMU, op. cit., p. 42 sq.). Les émissions de gaz à effet de serre liées à la gestion des déchets ont, durant la même période, baissé de 76 % (BMU, op. cit., p. 44 sq.).
III.
31
En l’état actuel, le changement climatique anthropique ne peut être freiné de manière décisive que par une réduction des émissions de CO2.
32
1. Le changement climatique anthropique peut être freiné si l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre anthropiques dans l’atmosphère est limitée (pour plus de détails sur ce qui suit, cf. Conseil d’experts, Pour une politique environnementale résolue en Allemagne et en Europe, Für eine entschlossene Umweltpolitik in Deutschland und Europa, Rapport d’expertise environnementale 2020, p. 39 sqq. point no 9 sq. et les références qui y sont citées). En raison de l’importance quantitative et de la persistance du CO2, la concentration de ce dernier revêt un intérêt particulier. Il est présumé qu’une corrélation plus ou moins linéaire existe entre le volume total de toutes les émissions anthropiques de CO2 jamais produites et l’augmentation de la température mondiale. Seule une petite partie des émissions anthropiques est absorbée par les océans et la biosphère terrestre ; le législateur part de la présomption selon laquelle un volume des émissions équivalant à 5 % du niveau des émissions annuelles en 1990 aurait « un bilan net neutre d’émissions de gaz à effet de serre » (cf. la définition légale au § 2, no 9 KSG ; cf. également GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, 2018, p. 24) et que ces émissions restantes seraient captées et stockées à long terme par des puits de carbone naturels (comme les sols, les forêts ou les eaux) (document du Bundestag no 19/14337, p. 24). Le grand reste des émissions anthropiques de CO2 demeure toutefois dans l’atmosphère à long terme et influence ainsi la température de la Terre. En comparaison avec d’autres gaz à effet de serre, le CO2 ne quitte plus l’atmosphère de manière naturelle dans un temps pertinent pour l’humanité. Tout volume supplémentaire de CO2 diffusé dans l’atmosphère et qui n’en est pas retiré artificiellement (cf. infra, au point no 33) accroît donc la concentration de CO2 et contribue en conséquence à une augmentation supplémentaire de la température. Cette augmentation de la température persiste même quand la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère ne croît plus. Dès lors, la limitation du réchauffement de la planète présuppose une limitation de la totalité des émissions anthropiques de CO2 (GIEC, op. cit., p. 12, C.1.3).
33
2. L’augmentation future de la concentration de CO2 dans l’atmosphère peut être limitée surtout au moyen d’une réduction des émissions futures de CO2, une réduction entendue dans le sens que la production de telles émissions doit être évitée, par exemple en renonçant à la combustion d’agents énergétiques fossiles. En outre, peuvent être envisagées des mesures qui ne sauraient certes empêcher que des émissions de CO2 soient produites, mais qui sont susceptibles soit d’éviter que ces émissions soient relâchées dans l’atmosphère, soit de retirer ces émissions de l’atmosphère (« émissions négatives » comprenant « élimination du CO2» et « captage et stockage du CO2»). Le GIEC estime qu’une utilisation à l’avenir de telles technologies sera indispensable pour réaliser l’objectif de limiter ou de réduire à 1,5 °C le réchauffement de la planète. En même temps, l’emploi de technologies pour des émissions négatives est pour l’heure considéré comme difficile à mettre en œuvre, du moins à grande échelle ; il est entravé par de sérieux obstacles et contraintes en termes de rentabilité économique, de faisabilité technique, de coordination à l’échelon international et de conséquences sociales, et surtout en termes de risques nouveaux pour l’environnement (cf. GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, 2018, p. 17 ; UBA, Brève prise de position sur l'élimination du dioxyde de carbone de l'atmosphère – Carbon Dioxide Removal (dites « émissions négatives ») Kurzposition zur Kohlendioxid-Entnahme aus der Atmosphäre – Carbon Dioxide Removal (sogenannte „negativ Emissionen“»), 2019 ; Conseil d’experts, Rapport d’expertise environnementale 2020, p. 62 sqq. ; cf. également Markus/Schaller/Gawel/Korte, NuR 2021, p. 90 sqq. et les références qui y sont citées).
34
Une piste qui ne saurait constituer une stratégie pour limiter le changement climatique, mais qui peut contribuer à en atténuer les conséquences négatives, en particulier pour l’homme, sont les mesures dites d’adaptation (à ce sujet, cf. déjà Gouvernement fédéral, Stratégie allemande d’adaptation au changement climatique, Deutsche Anpassungsstrategie an den Klimawandel, 17 décembre 2008). À cet égard, il est par exemple possible de renforcer les digues et d’en augmenter la hauteur, d’adapter les cultures agricoles, de restructurer les forêts en y implantant des espèces d’arbres adaptées aux conditions, d’adapter la planification urbaine en créant des artères pour l’air frais et des espaces verts afin d’éviter des « îlots de chaleur », ou encore de désimperméabiliser et de reboiser des terrains appropriés (UBA, Rapport de suivi 2019 relatif à la stratégie allemande d’adaptation au changement climatique, Monitoringbericht 2019 zur Deutschen Anpassungsstrategie an den Klimawandel, 2019, pp. 72 sq. ; 102 sqq. ; 128 sqq. ; 160 sq. ; 162 sqq. ; Gouvernement fédéral, Second rapport d’avancement relatif à la stratégie allemande d’adaptation au changement climatique, Zweiter Fortschrittsbericht zur Deutschen Anpassungsstrategie an den Klimawandel, 2020, p. 52 sqq.).
35
3. La question de savoir si et dans quelle mesure la concentration de CO2 dans l’atmosphère et le réchauffement de la planète doivent être limités est une question relevant de la politique climatique. Les sciences naturelles ne peuvent y apporter de réponse. Les conclusions avancées par ces dernières fournissent toutefois des indices quant à la question de savoir quelles réductions des émissions sont nécessaires pour atteindre un certain objectif. Dans ce contexte, la climatologie et la politique climatique ont recours à des critères d’évaluation et objectifs différents liés à la température, à la concentration de CO2 dans l’atmosphère ou encore les émissions de CO2. Les objectifs de l’accord de Paris (cf. supra, au point no 7 sq.) constituent un objectif maximum en matière de réchauffement et de température. L’avantage méthodologique d’un tel objectif en matière de température est qu’il présente un lien direct avec les conséquences du réchauffement de la Terre, étant donné que la température moyenne de la Terre constitue le repère central pour évaluer l’état du système terrestre dans son ensemble.
36
Pour transposer un objectif relatif à la température mondiale en des exigences concrètes en matière de réduction des émissions de CO2, il est cependant nécessaire de procéder à des calculs afin de convertir le réchauffement en volume de CO2 émis. Eu égard à la corrélation entre la concentration de CO2 dans l’atmosphère et le réchauffement de la Terre, une telle conversion est en principe possible, bien qu’elle demeure affectée d’incertitudes dues à la complexité du système climatique (Conseil d’experts, op. cit., p. 39 sqq. point no 8 sq. ; pour plus de détails, cf. infra, au point no 216 sqq.). En raison de la corrélation à peu près linéaire, il est possible d’indiquer environ quel degré de concentration de CO2 dans l’atmosphère ne saurait être dépassé si la température mondiale ne doit pas franchir un certain seuil. Le niveau de la concentration actuelle de CO2 est plus ou moins connu. Par conséquent, il est possible de déterminer approximativement le volume supplémentaire de CO2 qui pourra au plus encore être émis sans que la température mondiale visée ne se trouve dépassée. S’il est également tenu compte du volume (en l’état actuel toutefois encore assez faible) des « émissions négatives » de CO2, c’est-à-dire des émissions qui ne sont dès le départ pas diffusées dans l’atmosphère ou qui ont été retirées de l’atmosphère, il est possible d’obtenir un volume total (mondial) d’émissions de CO2 qui peuvent encore être produites sans que le réchauffement de la planète ne dépasse le seuil de température visé. Ce volume est appelé « budget carbone » dans le domaine de la climatologie et de la politique climatique (cf. GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, 2018, pp. 14 et 26 ; Conseil d’experts, op. cit., p. 38 point no 3). Le GIEC a calculé les différents budgets résiduels mondiaux concrets en fonction de différents seuils de température et de différentes probabilités de survenance (GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Special Report, Global Warming of 1.5 °C, 2018, chapitre 2, p. 108, tableau 2.2). Sur ce fondement, le Conseil d’experts a calculé pour l’Allemagne un budget résiduel national avec pour objectif une limitation de l’augmentation de la température mondiale de 1,75 °C. Il s’est fondé à cette fin sur les chiffres indiqués par le GIEC pour une probabilité de réalisation de l’objectif de 67 % (Conseil d’experts, op. cit., p. 52 ; au sujet de ces hypothèses et de leur solidité cf. infra, au point no 219 sqq.).
37
4. Afin de réaliser d’ici 2050 la neutralité en matière de gaz à effet de serre posée par le § 1, 3e phrase KSG comme fondement de la loi sur le climat, des transformations profondes s’imposent. Dans le cadre du mode de vie actuel, pratiquement toute activité implique encore directement ou indirectement des émissions de CO2. Ce n’est pas uniquement l’exploitation de larges installations industrielles, mais également des comportements tout à fait quotidiens qui la plupart du temps contribuent directement ou indirectement aux émissions de CO2. Les répercussions en matière de CO2 dues par exemple à la consommation directe de combustibles et de carburants ou encore de l’électricité nécessaire pour le chauffage, la cuisine, l’éclairage, et cetera sont immédiatement évidentes. En revanche, la teneur en carbone d’autres activités n’apparaît qu’après un examen plus attentif ; des émissions de gaz à effet de serre ne sont pas produites seulement lors de l’utilisation de produits et de services, mais également tout au long de la chaîne de valeur : d’abord lors de la production, puis du stockage et du transport, plus tard également à l’occasion de l’élimination d’un produit. Ainsi, l’extraction pétrolière, le transport de combustibles fossiles, mais aussi la construction d’installations éoliennes consomment de l’énergie, menant aux émissions de gaz à effet de serre. Certains processus de production, par exemple dans l’industrie métallurgique et l’industrie chimique, mais aussi lors de la fabrication de produits minéraux, sont de grands consommateurs en énergie et donc également émetteurs de gaz à effet de serre. Ainsi, le secteur du ciment est-il responsable d’environ 6 à 7 % des émissions mondiales anthropiques de CO2 (cf. UBA, Détermination des potentiels d'efficacité matérielle et énergétique dans l'industrie du ciment en fonction de la chaîne de processus, Prozesskettenorientierte Ermittlung der Material- und Energieeffizienzpotentiale in der Zementindustrie, 2020, p. 11 sqq.). En outre, contribuant indirectement aux émissions de gaz à effet de serre, sans que cela ne soit immédiatement apparent, sont l’utilisation de produits dont la fabrication exige une grande consommation en énergie, comme les mousses, les matériaux isolants, les extincteurs, les systèmes de climatisation, les produits en aluminium, les fenêtres insonorisées, les vernis ou encore les adhésifs employés lors de la construction de bâtiments. Un exemple illustrant l’impact indirect élevé en matière de gaz à effet de serre d’articles de consommation est le secteur du textile. Pour 2015, l’émission de gaz à effet de serre due à la production mondiale des textiles a été chiffrée à 1,2 gigatonnes, c’est-à-dire presque le double du total des émissions produites par le trafic maritime international et le trafic aérien international pris ensemble (UBA, Les grands points de la consommation ménageant les ressources comme sujet de conseil aux consommateurs – plus que l’efficacité énergétique et la protection du climat, Big Points des ressourcenschonenden Konsums als Thema für die Verbraucherberatung ‒ mehr als Energieeffizienz und Klimaschutz, 2019, p. 78 et les références qui y sont citées ; au sujet des coûts environnementaux de certaines catégories choisies de produits, cf. également UBA, Les coûts environnementaux des biens de consommation comme point de départ pour l'amélioration de l’information des consommateurs « second affichage des prix » sur le marché et hors marché, Umweltkosten von Konsumgütern als Ansatzpunkt zur Verbesserung marktlicher und nicht-marktlicher Verbraucherinformationen „Zweites Preisschild“, 2020, p. 56 sqq.). Les vêtements et les chaussures sont, sur la totalité de leur cycle de vie (production, utilisation, élimination), responsables pour environ 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (European Topic Centre on Waste and Materials in a Green Economy, Les textiles et l'environnement dans une économie circulaire, Textiles and the environment in a circular economy, 2019, p. 2 et les références qui y sont citées). Si le mode de vie actuel, y compris des comportements et activités aussi quotidiens que la construction et l’utilisation de nouveaux immeubles et le port de vêtements, doit présenter un bilan climatiquement neutre, des restrictions et des réorganisations fondamentales des processus de production, de l’utilisation des produits et des comportements quotidiens sont indispensables.
IV.
38
Dans leurs recours constitutionnels, les requérants critiquent pour l’essentiel que l’État n’a pas adopté de dispositions suffisantes pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en particulier du CO2. Ils affirment que la réduction des émissions de CO2 prévue par la loi relative à la lutte contre le changement climatique ne permet pas de respecter le budget résiduel de CO2 correspondant au seuil des 1,5 °C d’augmentation de la température. Au cœur des recours constitutionnels sont invoqués d’abord les devoirs de protection de l’État découlant des droits fondamentaux et tirés de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF et de l’article 14, alinéa 1 LF, ensuite deux droits fondamentaux que les requérants veulent déceler dans l’article 2, alinéa 1 LF combiné à l’article 20a LF et dans l’article 2, alinéa 1 LF combiné à l’article 1, alinéa 1, 1re phrase LF, et qui consacreraient respectivement un droit à un avenir digne et un droit à un minimum vital environnemental (ökologisches Existenzminimum), puis finalement le principe selon lequel la restriction de droits fondamentaux est réservée au législateur (Gesetzesvorbehalt) ainsi que le devoir d’établir les faits et l’obligation de motivation pesant sur le législateur, des devoirs que les requérants désignent sous le terme d’« exigences en matière de rationalité de la loi ».
39
1. Le recours constitutionnel dans l’affaire 1 BvR 2656/18 a été introduit en 2018, c’est-à-dire antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi sur le climat. Le Bundestag a exposé sa position à cet égard dans un mémoire du 6 décembre 2019. Le groupe parlementaire BÜNDNIS 90/DIE GRÜNEN a déposé sa propre prise de position dans un mémoire du 17 décembre 2019. Le gouvernement fédéral a présenté ses observations dans un mémoire du 14 février 2020. Par un document daté du 15 juin 2020, le recours constitutionnel a été étendu pour inclure des griefs dirigés contre la loi sur le climat qui était entre-temps entrée en vigueur.
40
a) Les requérants critiquent une omission de la part du législateur. Selon les requérants sous 1) à 11), l’État viole les devoirs de protection qui pèsent sur lui en vertu de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF et, pour certains, en vertu de l’article 14, alinéa 1 LF du fait que les mesures qu’il a prises pour lutter contre le changement climatique seraient insuffisantes. En outre, ils allèguent une violation de l’article 2, alinéa 1 combiné à l’article 1, alinéa 1 LF (« minimum vital environnemental ») et une atteinte aux libertés combinées à l’article 20, alinéa 3 LF au motif que l’exigence constitutionnelle selon laquelle les éléments essentiels d’une ingérence dans les droits fondamentaux doivent être déterminés par le législateur parlementaire (Wesentlichkeitsgrundsatz) aurait été méconnue. L’adoption de la loi sur le climat n’y change rien aux yeux des requérants, qui ne la considèrent pas suffisamment ambitieuse. Ils contestent les objectifs nationaux pour lutter contre le changement climatique prévus au § 3, alinéa 1 KSG, les volumes d’émission annuels licites prévus par le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2, ainsi que les dispositions du § 4, alinéa 6 KSG relatives à l’ajustement de la trajectoire de réduction des émissions. Les requérants sous 12) et 13) sont des associations de défense de l’environnement qui prétendent agir en tant qu’« avocats de la nature » et allèguent une violation de l’article 2, alinéa 1 LF et de l’article 19, alinéa 3 LF combiné à l’article 20a LF eux-mêmes combinés à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et ils contestent eux aussi une atteinte aux libertés combinées à l’article 20, alinéa 3 LF au motif que l’exigence constitutionnelle selon laquelle les éléments essentiels d’une ingérence dans les droits fondamentaux doivent être déterminés par le législateur aurait été méconnue.
41-46
[…]
47
b) aa) Le Bundestag allemand estime que le recours constitutionnel est irrecevable et infondé.
48-53
[…]
54
bb) Le groupe parlementaire du parti BÜNDNIS 90/DIE GRÜNEN au Bundestag allemand conteste l’avis du Bundestag. […]
55
cc) Le gouvernement fédéral considère que le recours constitutionnel est irrecevable. […]
56-58
[…]
59
2. Le recours constitutionnel dans l’affaire 1 BvR 288/20 est dirigé contre la loi sur le climat.
60
a) Les requérants sont pour l’essentiel des jeunes et de jeunes adultes. Ils contestent la violation d’un droit fondamental qu’ils veulent tirer de l’article 1, alinéa 1 LF combiné à l’article 20a LF et qui consacrerait un droit à un avenir digne, la violation d’un droit qu’ils veulent tirer de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF combiné à l’article 20a LF, ainsi qu’une atteinte à leur liberté de la profession (article 12, alinéa 1 LF) et à la garantie constitutionnelle du droit de propriété (article 14, alinéa 1 LF), les deux également en combinaison avec l’article 20, alinéa 3 LF eu égard aux garanties similaires consacrées aux articles 2 et 8 CEDH. Les requérants estiment que les efforts du législateur allemand de protéger le climat sont insuffisants. Ils critiquent que l’objectif national en la matière à l’horizon 2030 prévu par le § 3, alinéa 1 KSG (réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % par rapport au niveau en 1990) est insuffisant et que les volumes d’émission annuels licites prévus jusqu’en 2030 par le § 4, alinéa 1, 3ephrase KSG combiné à l’annexe no 2 sont trop -élevés. En outre, ils contestent les dispositions du § 4, alinéa 3, 2ndephrase KSG combiné à l’article 5 du règlement relatif au climat, au motif que ces dispositions permettraient de vendre à d’autres États européens des quotas d’émission non utilisés, ce qui nivellerait l’effet des efforts nationaux accrus en matière de lutte contre le changement climatique. Le législateur aurait ainsi méconnu ses devoirs de protection.
61-66
[…]
67
b) aa) Le Bundestag allemand estime que le recours constitutionnel est irrecevable et infondé. […]
68
[…]
69
bb) Le gouvernement fédéral a présenté une prise de position unique portant sur les trois affaires 1 BvR 78/20, 1 BvR 96/20 et 1 BvR 288/20. […]
70
Il affirme que le recours constitutionnel est irrecevable. […]
71
3. a) Les requérants dans l’affaire 1 BvR 96/20 sont des enfants et des jeunes qui dirigent leur recours contre les efforts nationaux selon eux insuffisants en matière de lutte contre le changement climatique et qui allèguent que, de ce fait, se trouvent violés leurs droits fondamentaux découlant de l’article 2, alinéa 2, 1rephrase LF et de l’article 14, alinéa 1 LF. Ils contestent le § 3, alinéa 1, le § 4, alinéa 1, 3e phrase combiné aux annexes nos 1 et 2, le § 4, alinéas 3, 5 et 6, le § 8 et le § 9 KSG, ainsi que l’omission selon eux persistante du législateur d’adopter des mesures adéquates et suffisantes du point de vue pronostique qui permettent de respecter le budget résiduel national de CO2. En outre, ils soutiennent que la loi sur le climat n’est pas conforme aux exigences qu’imposent les droits fondamentaux en ce qui concerne une rationalité minimale de la loi, car, selon eux, le législateur n’a pas suffisamment tenu compte des conclusions du GIEC.
72-74
[…]
75
b) aa) Le Bundestag allemand estime que le recours constitutionnel […] est irrecevable et infondé. […]
76
[…]
77
bb) […]
78
4. Les requérants dans l’affaire 1 BvR 78/20 vivent au Bangladesh et au Népal. Ils contestent une violation par la République fédérale d’Allemagne des devoirs de protection découlant de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF et de l’article 14, alinéa 1 LF au motif qu’elle n’aurait pas entrepris d’efforts suffisants pour protéger le climat.
79
a) Les requérants avancent que le Bangladesh et le Népal seraient, chacun à sa manière, particulièrement sensibles aux changements climatiques et directement menacés par le changement climatique.
80-84
[…]
85
b) aa) Le Bundestag allemand estime que le recours constitutionnel est irrecevable et infondé. […]
86-88
[…]
89
bb) Le gouvernement fédéral considère que, déjà en raison de la dimension internationale particulière de l’espèce, la possibilité d’une atteinte aux droits fondamentaux est exclue. […]
B.
90
Dans la mesure où les requérants sont des personnes physiques, leurs recours constitutionnels sont recevables, lorsque, d’une part, ils contestent une violation du devoir de protection des droits fondamentaux. Les requérants peuvent en partie faire valoir que leur droit à la vie et à l’intégrité physique (article 2, alinéa 2, 1re phrase LF) et, pour certains d’entre eux, la garantie de leur droit de propriété (article 14, alinéa 1 LF) ont été atteints (à ce sujet, cf. plus en détail infra, au point II 1, C I) du fait qu’avec la loi sur le climat, l’État pourrait n’avoir pris que des mesures insuffisantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pour limiter l’augmentation de la température mondiale. Dans cette mesure, les requérants vivant au Bangladesh et au Népal ont eux aussi la qualité pour agir, étant donné qu’il ne peut être a priori exclu que les droits fondamentaux consacrés par la Loi fondamentaux imposent à l’État allemand le devoir de protéger ces droits également contre les effets du changement climatique mondial (à ce sujet, cf. plus en détail infra, au point II, 1, C II). D’autre part, les requérants vivant en Allemagne sont susceptibles d’avoir été atteints dans leurs droits fondamentaux du fait que, en raison des volumes, à leurs yeux trop élevés, des émissions de gaz à effet de serre admis jusqu’en 2030 d’après la loi sur le climat, ils seront obligés de supporter postérieurement à cette date des charges considérables en matière de réduction des émissions et des pertes de liberté correspondantes pour des raisons de protection du climat qui seront alors exigées par le droit constitutionnel (à ce sujet, cf. plus en détail infra, au point II, 4, C III). Les recours constitutionnels sont recevables dans la mesure où ils sont dirigés contre le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2. Pour le reste, les recours constitutionnels sont irrecevables.
I.
91
Les recours constitutionnels portent sur un objet recevable, dans la mesure où ils sont dirigés contre des dispositions de la loi sur le climat.
92
1. Sur le fond, les requérants font valoir que le législateur a porté atteinte à leurs droits fondamentaux en ne prenant pas de mesures suffisantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et limiter le réchauffement planétaire. Le recours constitutionnel dans l’affaire 1 BvR 2656/18 a été introduit antérieurement à l’adoption de la loi sur le climat. Les requérants n’ont donc initialement contesté que l’omission d’agir de la part de l’État. Aujourd’hui, après l’adoption de la loi sur le climat, ils avancent, à l’instar des requérants dans les autres affaires, que la loi n’est pas conforme aux exigences constitutionnelles.
93-94
[…]
95
2. […]
II.
96
Dans la mesure où les requérants sont des personnes physiques, ils ont la qualité pour agir en ce qui concerne le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2. Il semblerait possible, en fin de compte, qu’en raison des volumes, trop généreux aux yeux des requérants, des émissions de gaz à effet de serre admis jusqu’en 2030 par les dispositions critiquées, d’une part se trouvent violés les devoirs de protection des droits fondamentaux découlant de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF et de l’article 14, alinéa 1 LF et que d’autre part les requérants vivant en Allemagne se voient confrontés après 2030 à des charges très importantes en matière de réduction des émissions, ce qui pourrait conduire à une menace de leur liberté pleinement garantie par les droits fondamentaux. Pour le reste, l’éventualité d’une violation des droits fondamentaux est exclue ou n’a pas été suffisamment démontrée.
97
1. Dans la mesure où les requérants sont des personnes physiques, ils ont la qualité pour agir en ce qui concerne le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no2 en raison d'une éventuelle violation du devoir de protection de l’État découlant de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF et de l’article 14, alinéa 1 LF. En revanche, la violation également alléguée par les requérants dans l’affaire 1 BvR 288/20 d’un devoir de protection tiré de l’article 12, alinéa 1 LF ne confère pas de qualité pour agir. Les requérants des recours constitutionnels sous 12) et 13) ne font pas valoir de violation d’un devoir de protection.
98
a) Les dispositions contestées par les requérants sont susceptibles de porter atteinte aux devoirs de protection tirés de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF et de l’article 14, alinéa 1 LF, mais non pas à un devoir de protection tiré de l’article 12, alinéa 1 LF. Une violation des devoirs de protection par le 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no2 apparaît du moins possible. En revanche, en ce qui concerne les autres dispositions critiquées, la possibilité d’une violation d’un devoir de protection n’a pas été suffisamment démontrée.
99
aa) (1) Les requérants sont susceptibles d’être atteints dans leur droit à une protection découlant des droits fondamentaux de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF. La protection du droit à la vie et du droit à l’intégrité physique consacrés par l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF inclut également une protection contre des dommages entraînés par des dégradations de l’environnement (cf. Recueil des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale, Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts – BVerfGE 49, 89 <140 sq.>; jurisprudence constante ; dans le même sens, en ce qui concerne l’article 2 CEDH, cf. par exemple Cour EDH, Öneryildiz c. Turquie, arrêt du 30 novembre 2004, No48939/99, point no 89 sqq. ; Cour EDH, Budayeva et Autres c. Russie, arrêt du 20 mars 2008, No 15339/02 e.a., point no 128 sqq. ; au sujet de l’article 8 CEDH, cf. par exemple Cour EDH, Cordella et Autres c. Italie, arrêt du 24 janvier 2019, Nos54414/13 et 54264/15, point no 157 sqq. et les références qui y sont citées). Il en va de même en ce qui concerne des dangers que le changement climatique entraîne pour la vie et la santé humaines. Le législateur pourrait, du fait de l’absence d’une protection suffisante contre les atteintes à la santé et les dangers de mort causés par le changement climatique, avoir violé son devoir de protection. Il est certes exact que le changement climatique constitue un phénomène mondial que l’État allemand ne saura manifestement pas arrêter tout seul. Toutefois, ce constat ne rend ni impossible ni superflue une contribution de l’Allemagne à la lutte contre ce changement climatique (pour plus de détails, cf. infra, au point no 199 sqq.).
100
Dans la mesure où les requérants sont propriétaires de terrains qui, selon leurs explications, sont menacés par le changement climatique, une violation également du devoir du législateur de protéger le droit de propriété consacré à l’article 14, alinéa 1 LF apparaît possible (cf. Recueil BVerfGE 114, 1 <56>). En revanche, lorsque les requérants dans l’affaire 1 BvR 288/20 font valoir une atteinte à l’article 12, alinéa 1 LF au motif que le changement climatique rendrait impossible la poursuite d’une exploitation agricole ou d’un hôtel repris de leurs parents, la possibilité d’une atteinte allant au-delà d’une violation du devoir de protection de la propriété matérielle n’est pas évidente.
101
(2) Le requérants dans l’affaire 1 BvR 78/20, vivant au Bangladesh et au Népal, ont également la qualité pour agir. La Cour constitutionnelle fédérale n’a pas encore tranché la question de savoir si les droits fondamentaux de la Loi fondamentale imposent à l’État allemand de contribuer à la protection des personnes vivant à l’étranger contre les dommages causés par le changement climatique et dans quelles conditions un tel devoir pourrait, le cas échéant, avoir été méconnu. Un effet protecteur des droits fondamentaux également à l’encontre de ces requérants vivant à l’étranger ne peut être exclu a priori (à ce sujet, cf. plus en détail infra, au point no 173 sqq.).
102
bb) (1) Le 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3ephrase KSG combiné à l’annexe no2 pourraient être incompatibles avec le devoir de protection découlant des droits fondamentaux. Il est envisageable qu’avec les obligations qui y sont formulées, le législateur a admis des volumes d’émission de CO2 trop importants d’ici 2030, ce qui contribuerait à aggraver le changement climatique et conduirait à une menace pour la santé, voire la vie, ainsi que pour la propriété des requérants.
103
(2) En ce qui concerne les autres dispositions contestées par les recours constitutionnels, la possibilité d’une violation des devoirs de protection découlant des droits fondamentaux n’a pas été démontrée, et elle n’est pas non plus évidente.
104
Cette constatation vaut d’abord à l’encontre de la critique avancée par les requérants dans l’affaire 1 BvR 288/20 contre le fait que le § 4, alinéa 3, 2nde phrase KSG combiné à l’article 5 du règlement relatif au climat permet de transférer à d’autres États européens des quotas d’émission non utilisés. Il n’est pas nécessaire de décider si fait déjà obstacle à la recevabilité du recours constitutionnel à cet égard le fait que, d’une part, le § 4, alinéa 3, 2nde phrase KSG se borne à préciser que l’article 5 du règlement relatif au climat n’est pas affecté et que, d’autre part, cette dernière disposition relève du droit de l’Union européenne et n’est donc en principe pas susceptible de faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle fédérale. En tout état de cause, le recours constitutionnel n’est à cet égard pas suffisamment motivé (§ 23, alinéa 1, 2nde phrase et § 92 de la loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale, Bundesverfassungsgerichtsgesetz – BVerfGG). Les requérants ne traitent pas des différentes options de flexibilité prévues par l’article 5 du règlement relatif au climat, et n’expliquent pas dans quelle mesure le recours à ces options – dans un contexte européen ou mondial – pourrait entraîner une réduction globale de la protection du climat. Eu égard au caractère véritablement mondial du changement climatique, un tel effet global est toutefois d’importance. Les requérants n’ont pas démontré de manière suffisamment motivée que cet effet se trouve affaibli par la disposition contestée.
105-107
[…]
108
b) aa) Les requérants sont actuellement et personnellement affectés dans leurs droits fondamentaux par les dispositions relatives aux émissions admises jusqu’en 2030 figurant au 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et au § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no2. En l’état actuel des connaissances, le réchauffement de la planète causé par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre présente dans une large mesure un caractère irréversible (cf. supra, au point no 32), et il n’est pas automatiquement exclu que le changement climatique progressera encore du vivant des requérants d’une manière telle que les droits de ces derniers consacrés par l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF et l’article 14, alinéa 1 LF se trouveront affectés ([…]). L’éventualité d’une violation de la Constitution ne peut à cet égard être rejetée en indiquant que le risque d’un dommage futur ne constitue pas lui-même un dommage actuel et que les droits fondamentaux ne s’en trouveraient donc pas violés. Des dispositions qui ne conduisent qu’au cours de leur mise en œuvre à des dangers non négligeables pour les droits fondamentaux peuvent en elles-mêmes être contraires à la Loi fondamentale (cf. Recueil BVerfGE 49, 89 <141>). Cette constatation vaut en tout état de cause pour les cas dans lesquels un processus ne peut plus être corrigé une fois qu’il a été déclenché (cf. aussi Recueil BVerfGE 140, 42 <58 point no 59> et les références qui y sont citées).
109
À ce titre, les requérants n’invoquent nullement les droits de personnes qui ne sont pas encore nées, voire de générations futures toutes entières. Celles-ci ne sont pas titulaires de droits subjectifs consacrés par les droits fondamentaux ([…] ; sur les fonctions objectives de protection, cf. infra, au point no 146). Les requérants invoquent plutôt leurs propres droits fondamentaux.
110
Le recours constitutionnel ne constitue pas non plus une action populaire, laquelle n’est pas admise par la Loi fondamentale. Le simple fait qu’un très grand nombre de personnes est concerné ne fait pas obstacle à ce que les droits fondamentaux de l’individu se trouvent affectés (Tribunal administratif de Berlin, jugement du 31 octobre 2019 – 10 K 412.18 –, point no 73 ; cf. également Cour constitutionnelle fédérale, arrêt de la troisième section de la première chambre du 21 janvier 2009 – 1 BvR 2524/06 –, point no 43). Dans la procédure du recours constitutionnel, il n’est en principe pas exigé que le requérant soit affecté d’une manière particulière le distinguant des membres du grand public (pour une approche différente, cf. la jurisprudence européenne relative à l’article 263, paragraphe 4 TFUE, cf. Trib. UE, décision du 8 mai 2019, Carvalho, affaire T-330/18, EU:T:2019:324, para. 33 sqq. ; cf. également Cour constitutionnelle fédérale, arrêt de la deuxième section de la deuxième chambre du 15 mars 2018 – 2 BvR 1371/13 –, point no 47 ; […]).
111
bb) En revanche, le 4, alinéa 6 KSG, qui fixe les volumes d’émission annuels pour les périodes après 2030 et qui est critiqué ici au motif qu’il ne serait pas conforme au principe selon lequel la restriction de droits fondamentaux est réservée au législateur, ne déclenche ni une atteinte actuelle ni une atteinte directe, étant donné qu’il ne contient qu’une habilitation en vue de légiférer par décrets. Dès lors, il n’y pas de risque d’une violation de la Constitution. Si un décret ultérieur devait porter atteinte, du fait qu’il aurait une base légale insuffisante, aux devoirs de protection découlant des droits fondamentaux, cette violation pourrait, à ce moment ultérieur, être contestée au moyen d’un recours constitutionnel devant la Cour constitutionnelle fédérale.
112
2. La qualité pour agir au moyen d’un recours constitutionnel ne peut reposer directement sur l’article 20a LF. Le devoir de protection qui découle de l’article 20a LF englobe certes la protection du climat (cf. infra, au point no198). Cette norme juridique est également susceptible d’être invoquée en justice (cf. infra, au point no 205 sqq.). Toutefois, l’article 20a LF ne consacre pas de droits subjectifs (à ce sujet, cf. déjà Cour constitutionnelle fédérale, arrêt de la première section de la première chambre du 10 mai 2001 – BvR 481/01 e.a. –, point no18 ; arrêt de la première section de la première chambre du 5 septembre 2001 – BvR 481/01 e.a. –, point no 24 ; arrêt de la troisième section de la première chambre du 10 novembre 2009 – 1 BvR 1178/07 –, point no 32 ; […]). À plusieurs reprises, ont été débattues des propositions d’inscrire dans la Constitution un droit fondamental subjectif relatif à l’environnement (cf. document du Bundestag no 10/990 ; document du Bundestag no 11/663). Le législateur constitutionnel a toutefois décidé lors de la révision constitutionnelle de 1994 de ne pas donner suite à ces propositions. Ainsi, l’article 20a LF ne fait-il pas partie du titre de la Constitution consacré aux droits fondamentaux. De même, l’article 93, alinéa 1, no 4a LF relatif aux droits dont la violation peut être contestée par un recours constitutionnel ne compte pas l’article 20a LF parmi les droits énumérés. Par conséquent, la Cour constitutionnelle fédérale a à plusieurs reprises qualifié cette norme d’objectif étatique (cf. Recueil BVerfGE 128, 1 <48> ; 134, 242 <339 point no 289>).
113
3. Le « droit à un minimum vital environnemental » invoqué par les requérants dans l’affaire 1 BvR 2656/18, ainsi que le « droit à un avenir digne» qui lui est similaire et qu’invoquent les requérants dans l’affaire 1 BvR 288/20, ne fondent pas de qualité pour agir dans le cas de l’espèce. La question de savoir dans quelle mesure la Loi fondamentale consacre de tels droits peut rester ici sans réponse définitive. En tout état de cause, le législateur n’aurait pas porté atteinte à de tels droits.
114
Le droit à un minimum vital environnemental invoqué par les requérants est entre autres calqué sur le droit à un minimum vital conforme à la dignité humaine, un droit garanti par l’article 1, alinéa 1 LF combiné à l’article 20, alinéa 1 LF (cf. Recueil BVerfGE 125, 175 <222 sqq.>) ; selon les requérants, un tel minimum présuppose également que des normes minimales en matière environnementale soient respectées ([…]). En effet, la survie physique ainsi que les possibilités d’entretenir des relations interpersonnelles et de prendre part à la vie sociale, culturelle et politique (cf. Recueil BVerfGE 125, 175 <223>) ne sauraient être assurées uniquement au moyen de garanties de nature économique, si l’environnement disponible pour ces activités était, du point de vue de l’homme, hostile à la vie du fait qu’il aurait été radicalement bouleversé par le changement climatique. Toutefois, il découle déjà d’autres droits fondamentaux un devoir de respecter des normes minimales environnementales essentielles pour les droits fondamentaux et d’assurer en conséquence une protection contre des dommages environnementaux « à dimension catastrophique, voire apocalyptique » (Cour constitutionnelle fédérale, arrêt de la deuxième section de la seconde chambre du 18 février 2010, – 2 BvR 2502/08 –, point no 13). À côté des devoirs de protection découlant de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF en ce qui concerne le bien-être physique et psychique, ainsi que de l’article 14, alinéa 1 LF, un minimum vital environnemental pourrait toutefois avoir un effet autonome si, dans un environnement bouleversé au point d’être hostile à la vie, des mesures d’adaptation (cf. supra, au point no 34) permettaient certes de garantir encore la survie, l’intégrité physique et la propriété, mais non plus les autres conditions pour la vie sociale, culturelle et politique. Il est également tout à fait imaginable que les mesures d’adaptation nécessaires soient si extrêmes qu’elles interdiraient une réelle inclusion et participation à la vie sociale, culturelle et politique.
115
Il n’est toutefois pas possible de conclure que l’État aurait méconnu des exigences qui s’imposent à lui pour éviter que n’adviennent des menaces existentielles à dimension catastrophique, voire apocalyptique. L’Allemagne a adhéré à l’accord de Paris, et le législateur n’est pas resté inactif. Dans la loi sur le climat, il a formulé des obligations concrètes en vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (cf. le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2). Ces obligations en matière de réduction fixées jusqu’en 2030 ne mèneront pas à la neutralité climatique, mais elles seront ajustées (cf. § 4, alinéa 1, 5e phrase KSG) dans l’objectif à long terme de parvenir à la neutralité en matière de gaz à effet de serre d’ici 2050 (§ 1, 3e phrase KSG). Sur ce fondement, si les efforts nécessaires sont entrepris, il apparaît possible que – dans la mesure où l’Allemagne peut contribuer à la solution du problème – du moins la survenance de conditions de vie catastrophiques puisse être évitée. Tout autre est la question de savoir si les efforts impliqués pour les périodes après 2030 et engendrant des restrictions aux libertés sont susceptibles d’être justifiés au regard du droit constitutionnel ou si, au contraire, la loi sur le climat repousse de façon inadmissible vers l’avenir les contraintes en matière de réduction et fait porter le fardeau de ces dernières aux futurs responsables (cf. infra, au point no 116 sqq.).
116
4. En ce qui concerne leurs libertés, les requérants sous 1) à 11) dans l’affaire 1 BvR 2656/18, ainsi que les requérants dans les affaires 1 BvR 96/20 et 1 BvR 288/20 ont qualité pour agir lorsqu’ils contestent le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 au motif que des contraintes massives en matière de réduction des émissions sont susceptibles de leur être imposées à partir de l’année 2031. La sévérité des restrictions alors apportées aux droits fondamentaux est dès à présent partiellement déterminée par les dispositions précitées. Cet effet anticipé affectant la liberté future est susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux des requérants.
117
a) aa) (1) Les libertés des requérants sont susceptibles d’avoir été violées étant donné que la loi sur le climat repousse dans une mesure considérable les charges en matière de réduction des émissions exigée par l’article 20a LF à des périodes postérieures à 2030. Des charges supplémentaires en la matière pourraient alors être imposées à si brève échéance qu’elles exigeraient des efforts considérables (également) de la part des requérants, ce qui menacerait gravement leur liberté. Est affectée pratiquement et potentiellement toute forme de liberté, étant donné qu’actuellement presque toutes les activités humaines génèrent des émissions de gaz à effet de serre (cf. supra, au point no 37) et sont dès lors menacées de se voir imposer des restrictions sévères après 2030. La liberté est protégée pleinement par la Loi fondamentale, au moyen de droits fondamentaux particuliers, mais en tout état de cause aussi par la liberté générale d’agir que l’article 2, alinéa 1 LF consacre comme principe fondamental de la liberté (cf. Recueil BVerfGE 6, 32 <36 sq.> ; jurisprudence constante). Cette liberté est susceptible d’être atteinte de manière contraire à la Constitution par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 si ces dispositions s’avéraient trop généreuses quant aux émissions admises dans un avenir proche, ce qui conduirait alors à repousser vers l’avenir des charges de réduction considérables au détriment de l’exercice futur de la liberté. Il est certes exact que même dans l’avenir, des contraintes constitutionnellement intolérables en matière de réduction des émissions ne sauraient être imposées aux requérants ; ces derniers demeurent protégés par leurs droits fondamentaux contre des restrictions intolérables de leur liberté. Toutefois, la mesure de ce qui est tolérable est déterminée aussi par l’obligation constitutionnelle de protéger le climat (article 20a LF). Au fur et à mesure où, dans les faits, les dangers engendrés par le changement climatique s’aggraveront, cette obligation constitutionnelle, intensifiée par des devoirs de protection similaires découlant des droits fondamentaux, nécessitera des réductions plus importantes des émissions de gaz à effet de serre, ce qui en conséquence pourra justifier des restrictions de la liberté plus sévères qu’aujourd’hui.
118
(2) Les volumes d’émission permis jusqu’en 2030 selon le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 ont dès à présent des conséquences sur la charge de réduction à assumer au cours des périodes suivantes. Dès maintenant, ils contribuent à la détermination de restrictions futures apportées aux droits fondamentaux – et ce, non seulement en fait, mais également par un effet juridique anticipé. Ceci est dû d’une part au caractère essentiellement irréversible des conséquences réelles des émissions de CO2 pour la température de la planète et d’autre part au fait que la Loi fondamentale interdit à l’État de demeurer inactif face à un changement climatique progressant à l’infini. À cet égard, la question de savoir combien de temps il reste pour le passage à un mode de vie et à une économie climatiquement neutres, lesquels seront imposés également par le droit constitutionnel afin de ménager le climat, s’avère déterminante en ce qui concerne la sévérité des pertes potentielles de la liberté.
119
(a) Le changement climatique anthropique présente un lien de causalité directe avec la concentration dans l’atmosphère des gaz à effet de serre anthropiques (au sujet de l’état actuel des connaissances, cf. supra, au point no 18 sqq. et au point no 32 sqq.). Dans ce contexte, les émissions de CO2 revêtent une importance particulière. Une fois qu’elles ont pénétré dans l’atmosphère, ces émissions ne peuvent pratiquement plus en être retirées. En conséquence, le réchauffement de la Terre et le changement climatique anthropiques des années passées ne peuvent être inversés. En même temps, chaque tonne de CO2 émise au-delà d’un faible volume climatiquement neutre conduit à ce que le réchauffement de la température de la planète continue d’augmenter au-delà du niveau irréversible déjà atteint, et à ce que le changement climatique progresse tout aussi irréversiblement. Si le réchauffement de la planète doit être contenu en dessous d’un certain seuil de température, seul le volume de CO2 réduit en fonction de ce seuil pourra être émis ; à l’échelle mondiale, il reste encore un « budget résiduel de CO2 ». En cas d’émissions au-delà de ce budget résiduel, le seuil de température visé sera dépassé.
120
(b) Une progression illimitée du réchauffement de la planète et du changement climatique ne serait toutefois pas compatible avec la Loi fondamentale. Outre les devoirs de protection découlant des droits fondamentaux, l’obligation de l’article 20a LF de protéger le climat s’y oppose, une obligation que le législateur a précisée – de manière décisive du point de vue constitutionnel – en formulant l’objectif de limiter l’augmentation de la température de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de préférence en dessous de 1,5 °C (pour plus de détail, cf. infra, au point no 208 sqq.). Ce seuil de température correspond à un budget résiduel national de CO2 (cf. infra, au point no 216 sqq.) dérivé du budget résiduel mondial, même s’il n’est pas possible de quantifier clairement ce budget résiduel national. Lorsque ce dernier sera épuisé, des émissions supplémentaires de CO2 ne seraient alors licites que si l’intérêt lié à ces émissions était susceptible de prévaloir, du point de vue constitutionnel, sur les intérêts y entrant en conflit, notamment l’obligation formulée à l’article 20a LF de protéger le climat (cf. infra, au point no 198). Toute activité directement ou indirectement émettrice de CO2 ne serait alors acceptable du point de vue du droit constitutionnel que pour autant que les libertés constitutionnellement garanties qui constituent le fondement de l’activité en question seraient susceptibles de prévaloir lors de la mise en balance nécessaire, étant entendu que, dans le cadre de cette dernière, l’importance relative d’un exercice non climatiquement neutre de la liberté diminuera dans la mesure où le changement climatique progressera. En même temps, l’importance de la norme formulée à l’article 20a LF en ce qui concerne la régulation des activités ayant un effet en matière de CO2 augmentera déjà avant que le budget de CO2 décisif du point de vue constitutionnel n’ait été entièrement épuisé, étant donné que, nonobstant des réserves de nature constitutionnelle, il ne serait ni responsable ni réaliste d’accepter dans un premier temps que les activités ayant un impact en matière de CO2 se poursuivent au même rythme et ensuite, après épuisement complet du budget résiduel, d’exiger brusquement que soit réalisée la neutralité climatique. Plus le budget résiduel de CO2 sera consommé, plus les exigences constitutionnelles de lutter contre le changement climatique se feront pressantes et plus les restrictions apportées aux droits fondamentaux seront susceptibles d’être sévères tout en étant conformes à la Constitution ([…]). Ainsi, les largesses du régime contemporain relatif à la lutte contre le changement climatique portent dès à présent en elles les limitations de la liberté qui s’imposeront à l’avenir. Des mesures de lutte contre le changement climatique qui, afin de ménager la liberté actuelle, ne sont pas prises de nos jours devront être imposées à l’avenir dans des conditions alors potentiellement encore moins favorables, ce qui aboutirait à une restriction encore plus stricte des besoins et des droits découlant de la liberté.
121
(c) À cet égard, la durée du délai restant est déterminante, tout comme l’est la question de savoir dans quelle mesure la liberté protégée par les droits fondamentaux devra être restreinte lors du passage à un mode de vie et à une économie climatiquement neutres ou si les droits fondamentaux pourront être ménagés. S’il existait des possibilités alternatives d’activités sans émission de CO2, c’est-à-dire climatiquement neutres, susceptibles de se substituer, du moins en partie, aux formes d’exercice de la liberté engendrant des émissions de CO2 et que ces alternatives étaient établies à un degré suffisant au sein de la société, les restrictions imposées à la liberté du fait de l’interdiction d’activités émettrices de CO2 dans les domaines du trafic routier, des transports et de la production seraient alors nettement moins sévères qui si de telles alternatives faisaient défaut. Toutefois, du temps sera encore nécessaire avant que le progrès technique et d’autres évolutions ne permettent de remplacer ou d’éviter dans une large mesure les processus et les produits dégageant une grande quantité de CO2, d’autant plus que la mise en œuvre pleine et entière de ces innovations sera nécessaire en ce qui concerne pratiquement toutes les opérations économiques et les pratiques de la vie quotidienne. Eu égard à l’envergure de la transformation sociotechnique qui s’imposera, des pistes à délai plus long sont estimées nécessaires pour procéder aux opérations de réorganisation et d’abandon pertinentes (Conseil d’experts, Pour une politique environnementale résolue en Allemagne et en Europe, Für eine entschlossene Umweltpolitik in Deutschland und Europa, Rapport d’expertise environnementale 2020, p. 51 sqq. point no 33). Les restrictions imposées à la liberté seront d’autant plus douces plus il restera de temps pour le passage à de telles alternatives sans CO2, plus les mesures à cette fin seront prises tôt et plus le niveau général des émissions de CO2 aura déjà été abaissé d’ici-là. En revanche, si une société caractérisée par un mode de vie impliquant de fortes émissions de CO2 doit en un minimum de temps passer à un mode de vie climatiquement neutre, il faut s’attendre à des restrictions énormes aux libertés ([…] ; cf. également Gouvernement fédéral, Mémoire relatif à l’accord de Paris, document du Bundestag no 18/9650, p. 30 point no 8 ; GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, 2018, p. 18, point D.1.3 ; […] ; dans le même sens, cf. Hoge Raad des Pays-Bas, arrêt du 20 décembre 2019, 19/00135, point 7.4.3).
122
(3) Toute consommation concrète des volumes restants de CO2 fait diminuer le budget résiduel ainsi que les possibilités d’exercer la liberté d’une manière émettrice de CO2 et réduit donc en même temps le délai disponible pour initier et mettre en œuvre la transformation sociotechnique. En tout cas, il apparaît possible que dans leur dimension de garantie de la liberté dans le temps, les droits fondamentaux protègent également contre des dispositions admettant une telle consommation sans que ne soit suffisamment prise en compte la liberté future menacée du fait de cette consommation (cf. également au sujet des droits subjectifs dans le contexte de la liberté (décisionnelle parlementaire et individuelle en même temps) dont l’exercice doit être réparti dans le temps et entre les générations, Recueil BVerfGE 129, 124 <170> ; 132, 195 <242 point no 112 ; 246 sq. point no 124>; 135, 317 <401 point no 163 sq.> ; 142, 123 <231 point no 213> ‒ en ce qui concerne l’article 38, alinéa 1, 1re phrase LF combiné à l’article 20, alinéas 1 et 2 LF).
123
bb) Dans le cas de l’espèce, comme le soulignent les requérants, l’exercice futur de la liberté postérieurement à 2030 pourrait concrètement se trouver entravé du fait que les volumes d’émission de CO2 licites jusqu’en 2030 en vertu de la loi sur le climat sont trop généreux ; il est possible que fassent défaut dans la loi des mesures de précaution suffisantes visant à ménager la liberté future. Le 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no2 fixent le volume d’émission de CO2 permis d’ici 2030 et par conséquent, ils déterminent en même temps dans quelle mesure le budget résiduel de CO2 pourra être consommé. Par conséquent, ces deux dispositions sont donc à l’origine de l’atteinte aux droits fondamentaux examinée dans la présente affaire et sont dès lors susceptibles de justifier à cet égard la qualité pour agir dans le cadre d’un recours constitutionnel.
124-125
[…]
126
cc) (1) Les recours constitutionnels sont à cet égard suffisamment motivés (§ 23, alinéa 1, 2nde phrase et § 92 BVerfGG). Les requérants ont exposé en détail que les dispositions de la loi sur le climat applicables jusqu’en 2030 conduisaient à leurs yeux à une consommation excessive du budget résiduel de CO2, ce qui rendrait nécessaires par la suite des efforts extraordinaires en matière de réduction des émissions. […]
127
(2) Les requérants fondent leur requête surtout sur les devoirs de protection qui découlent des droits fondamentaux consacrés par l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF et par l’article 14, alinéa 1 LF, sur un « droit à un avenir digne », ainsi que sur un droit fondamental à un « minimum vital environnemental ». Selon les requérants, les droits précités conduisent à une protection contre les dispositions du § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et du § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 relatives aux émissions et considérées trop généreuses. Certes, les contraintes découlant des mesures futures de réduction des émissions sont seulement explicitement thématisées sous l’aspect des libertés en général par les requérants de l’affaire 1 BvR 2656/18. Toutefois, dans le cadre d’un contentieux, la Cour constitutionnelle fédérale vérifie le respect de tous les droits fondamentaux susceptibles d’avoir été violés dans le cas d’une espèce (cf. Recueil BVerfGE 147, 364 <378 point no 36> et les références qui y sont citées ; 148, 267 <278 point no 27>). Dès lors, la question de la conformité des dispositions contestées aux libertés doit être examinée dans le cadre du contrôle de constitutionnalité dans les présentes affaires.
128
(3) N’a cependant pas été suffisamment motivé à cet égard le recours constitutionnel des requérants sous 12) et 13) dans l’affaire 1 BvR 2656/18. […]
129
b) Les requérants sont affectés actuellement, personnellement et directement dans leurs libertés par le 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no2.
130
aa) Le danger susmentionné de restrictions futures de la liberté conduit dès à présent à affecter les droits fondamentaux, étant donné que ce danger naît déjà du régime juridique actuel. Après 2030, tout exercice de la liberté causant directement ou indirectement des émissions de CO2 sera menacé justement en raison du fait que le 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no2 admettent jusqu’en 2030 un volume potentiellement trop élevé d’émissions de gaz à effet de serre. Dans la mesure où serait ainsi épuisé le budget résiduel de CO2, la situation serait alors irréversible, étant donné qu’à l’heure actuelle, il n’est pas possible de retirer à grande échelle des émissions de CO2 de l’atmosphère terrestre. Étant donné qu’une violation des droits fondamentaux ainsi déclenchée aujourd’hui présente un caractère potentiellement irréversible qui ferait a priori obstacle à une contestation ultérieure par un recours constitutionnel des restrictions alors imposées aux libertés, les requérants possèdent dès à présent la qualité pour agir (à cet égard, cf. Recueil BVerfGE 140, 42 <58 point no 59> et les références qui y sont citées ; jurisprudence constante).
131
bb) Les requérants sont affectés personnellement dans leur liberté. Les mesures de réduction d’émissions qui s’imposeront postérieurement à 2030 toucheront les requérants encore de leur vivant. Le fait que les restrictions concerneront pratiquement toute personne vivant alors en Allemagne ne fait pas obstacle à ce que les droits fondamentaux de l’individu se trouvent affectés (cf. supra, au point no110).
132
Il en va différemment en ce qui concerne les requérants dans l’affaire 1 BvR 78/20, lesquels vivent au Bangladesh et au Népal. Ces derniers ne sont à cet égard pas affectés personnellement. Est exclue d’emblée une violation des libertés qui résulterait du fait que les requérants pourraient un jour se voir confrontés à des mesures particulièrement contraignantes de la protection du climat et nécessaires parce que le législateur allemand permettrait actuellement des volumes trop généreux des émissions de gaz à effet de serre, ce qui exigerait à l’avenir la prise de mesures d’autant plus sévères en Allemagne. Les requérants vivent au Bangladesh et au Népal et ne sont pas assujettis à ces mesures.
133
cc) Les autres requérants sont aussi concernés directement. Tel est le cas lorsque l’ingérence dans un droit n’est pas causée seulement suite à l’adoption d’un acte juridique supplémentaire ou ne dépend pas de la prise d’un tel acte (cf. Recueil BVerfGE 140, 42 <58 point no 60>). Dans le cas de l’espèce, l’atteinte stricto sensu aux droits fondamentaux risque certes de se réaliser seulement du fait de dispositions futures (cf. supra, au point no120). Toutefois, étant donné que le fondement de cette atteinte est posé irréversiblement par le droit actuel, le caractère direct de l’atteinte peut être affirmé dès à présent.
134
[…]
135
5. Lorsque le requérant sous 9) dans l’affaire 1 BvR 2656/18 fait valoir une atteinte à sa liberté générale d’agir protégée par l’article 2, alinéa 1 LF, au motif que lui est refusé un mode de vie ménageant le climat et l’environnement, il n’a pas suffisamment motivé sa requête (§ 23, alinéa 1, 2nde phrase et § 92 BVerfGG).
136
6. Les deux associations de défense de la nature agissant en tant que requérants sous 12) et 13) dans l’affaire 1 BvR 2656/18 prétendent intervenir en tant qu’« avocats de la nature » et avancent, sur le fondement de l’article 2, alinéa 1 LF combiné à l’article 19, alinéa 3 LF et à l’article 20a LF interprétés à la lumière de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, que le législateur n’a pas adopté de mesures adéquates pour limiter le changement climatique et qu’il a par conséquent méconnu des exigences contraignantes imposées par le droit de l’Union pour la protection des fondements naturels de la vie. Toutefois, ni la Loi fondamentale ni le droit processuel constitutionnel ne prévoient une telle qualité pour agir dans le cadre d’un recours constitutionnel. Bien qu’il soit évident que l’obligation de protection de l’environnement formulée par la loi fondamentale dans son article 20a serait rendue plus efficace si sa mise en application était renforcée par la possibilité de l’imposer au moyen d’un recours individuel devant la juridiction constitutionnelle, le législateur constitutionnel n’a pas créé une telle possibilité (cf. supra, au point no 112).
137
Dans le cas de l’espèce, une interprétation différente n’est pas non plus possible ni imposée en vertu de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. […] En tout cas rien ne permet d’affirmer que la possibilité d’introduire elles-mêmes un recours constitutionnel doive justement être donnée aux associations de défense de la nature, du fait qu’elles avancent une violation de la décision « sur la répartition des efforts ». En outre, il est douteux que, sur le fond, la violation alléguée de la décision « sur la répartition des efforts » ait réellement eu lieu. Il est tout à fait possible que l’Allemagne ait satisfait à son obligation de réduire jusqu’en 2020 de 14 % par rapport au niveau atteint en 2005 ses émissions de gaz à effet de serre dans les domaines réglés par ladite décision. Certes, lors de l’adoption de la loi sur le climat, le législateur a lui-même estimé que cette obligation ne serait pas respectée (cf. document du Bundestag no 19/14337, pp. 1 et 17). Toutefois, à la suite de la pandémie du coronavirus, les émissions de gaz à effet de serre de l’Allemagne en 2020 ont considérablement diminué ; au total, elles étaient réduites de plus de 40 % par rapport à 1990, l’année de référence (Agora Energiewende, Die Energiewende im Corona-Jahr: Stand der Dinge 2020, 2021, p. 31). Ainsi, l’Allemagne devrait-elle avoir atteint, du moins à court terme, son objectif d’avoir réduit jusqu’en 2020 ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport au niveau de 1990.
III.
138
Dans la mesure où ils sont dirigés contre des dispositions de nature législative, les recours constitutionnels remplissent les conditions prévues en matière d’épuisement préalable des voies de recours (§ 90, alinéa 2 BVerfGG). […]
IV.
139-140
[…]
V.
141
Le fait que la loi sur le climat s’insère dans un contexte marqué par le droit de l’Union ne fait pas obstacle à la recevabilité des recours constitutionnels. Les dispositions contestées ne sont pas entièrement déterminées par le droit de l’Union. Il serait certes tout à fait concevable de considérer que la loi sur le climat met partiellement en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le législateur a estimé qu’avec l’adoption de la loi sur le climat, il instaurait le cadre pour la mise en application des obligations de l’Allemagne qui découlent du règlement relatif au climat (cf. document du Bundestag no 19/14337). Selon la jurisprudence tant de la Cour constitutionnelle fédérale (cf. Recueil BVerfGE 152, 152 <168 point no 39> et les références qui y sont citées ‒ Droit à l’oubli I) que de la Cour de justice de l’Union européenne (cf. CJUE, arrêt du 26 février 2013, Åkerberg, C-617/10, EU:C:2013:105, paragraphe 29), cela n’exclut toutefois pas un contrôle opéré à l’aune de la Loi fondamentale.
C.
142
Les recours constitutionnels connaissent un succès partiel. Il n’est certes pas possible de constater que le législateur aurait violé ses devoirs découlant des droits fondamentaux de protéger les requérants contre les dangers émanant du changement climatique (I et II). Toutefois, une atteinte aux droits fondamentaux résulte du fait qu’en raison des volumes d’émission permis par la loi sur le climat pour la période actuelle, il est possible que deviendront nécessaires des charges considérables en matière de réduction de ces émissions (III) ; par conséquent, le § 3, alinéa 1, 2nde phrase et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 portent atteinte aux droits fondamentaux des requérants dans les affaires 1 BvR 96/20 et 1 BvR 288/20, ainsi que des requérants sous 1) à 11) dans l’affaire 1 BvR 2656/18. Cela étant, la menace qui pèse sur les libertés n’est pas contraire à la Constitution du fait qu’elle violerait déjà des normes du droit constitutionnel objectif ; en fin de compte, il n’est pas possible de conclure à une violation de l’article 20a LF (III 2 a). Cependant, font défaut dans le cas de l’espèce des mesures exigées du fait des droits fondamentaux pour préserver les libertés par-delà le temps et les générations et destinées à atténuer les charges considérables de réduction des émissions que le législateur a, avec les dispositions contestées, repoussées aux périodes postérieures à 2030 et qu’il sera par la suite contraint d’imposer (aussi) aux requérants, en raison tant de l’article 20a LF que de la protection que les droits fondamentaux exigent contre les dommages causés par le changement climatique (III 2 b).
I.
143
Du fait des dangers engendrés par le changement climatique, des devoirs de protection découlent de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF et de l’article 14, alinéa 1 LF au bénéfice des requérants vivant en Allemagne (en ce qui concerne les requérants vivant au Bangladesh et au Népal, cf. infra, au point no 173 sqq.). Toutefois, une violation de ces devoirs de protection ne peut être constatée.
144
1. a) Le droit fondamental à la vie et à l’intégrité physique consacré par l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF oblige l’État à protéger les citoyens contre les dangers engendrés par le changement climatique. Il doit contrer les risques possibles considérables causés par le changement climatique par des mesures qui s’inscrivent dans un contexte international et contribuent à mettre un terme au réchauffement anthropique de la Terre et à limiter le changement climatique qui en résulte. Sont également nécessaires des mesures complémentaires de protection active (mesures d’adaptation) qui atténuent les effets du changement climatique.
145
aa) L’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF impose à l’État un devoir général de protéger la vie et l’intégrité physique. Ce droit fondamental ne possède pas uniquement une fonction subjective de garantie contre des ingérences de la part de l’État. Il inclut également un devoir de l’État de protéger et de promouvoir les droits à la vie et à l’intégrité physique et de les prémunir contre des atteintes illicites de la part de tiers (cf. Recueil BVerfGE 142, 313 <337 point no 69> et les références qui y sont citées ; jurisprudence constante). Les devoirs de protection qui découlent de la fonction objective de ce droit fondamental font en principe partie de la garantie subjective contre des atteintes à ce droit. En cas de méconnaissance d’un devoir de protection, le droit fondamental subjectif consacré par l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF se trouve également violé, et le titulaire de ce droit peut agir contre cette violation au moyen d’un recours constitutionnel (cf. Recueil BVerfGE 77, 170 <214> ; jurisprudence constante).
146
Le devoir de protection imposé à l’État par l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF ne s’applique pas uniquement lorsqu’une atteinte a déjà été portée à ce droit, mais comporte également une dimension tournée vers l’avenir (cf. Recueil BVerfGE 49, 89 <140 sqq.> ; 53, 30 <57> ; 56, 54 <78> ; 121, 317 <356>). L’obligation de protéger la vie et la santé humaines contre des dangers qui les menacent peut fonder un devoir de protection également à l’égard de générations futures ([renvois à la doctrine allemande]). Un tel devoir s’impose a fortiori lorsqu’il s’agit de faire face à des évolutions irréversibles. Cette obligation de protection intergénérationnelle est toutefois de nature purement objective, étant donné que les générations futures ne peuvent, ni dans leur ensemble ni en tant que notion recouvrant la totalité des individus qui vivront alors, être considérées comme étant actuellement titulaires de droits fondamentaux (cf. supra, au point no 109 ; […]).
147
bb) La protection de la vie et de l’intégrité physique en vertu de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF inclut une protection contre des atteintes entraînées par des dégradations de l’environnement, quel qu’en soit l’auteur et quelles qu’en soient les causes (cf. Recueil BVerfGE 49, 89 <140 sq.> ; jurisprudence constante ; […]). Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il découle de la Convention européenne des droits de l’homme des obligations positives pour l’État de protéger la vie et la santé humaines contre les dangers causés par des dégradations de l’environnement (cf. au sujet de l’article 2 CEDH par exemple Cour EDH, Öneryildiz c. Turquie, arrêt du 30 novembre 2004, No 48939/99, point no 89 sqq. ; Cour EDH, Budayeva et Autres c. Russie, arrêt du 20 mars 2008, No 15339/02 e.a., point no128 sqq. ; au sujet de l’article 8 CEDH, cf. par exemple Cour EDH, Cordella et Autres c. Italie, arrêt du 24 janvier 2019, Nos 54414/13 et 54264/15, point no157 sqq. et les références qui y sont citées ; […]). Toutefois, il n’apparaît pas que ces dispositions imposent une protection plus stricte que celle exigée en vertu de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF.
148
Le devoir de protection qui pèse sur l’État en vertu de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF comporte également une obligation de protéger contre les dangers engendrés par le changement climatique (cf. dans le même sens, Tribunal administratif de Berlin, jugement du 31 octobre 2019 – 10 K 412.18 – point no 70 ; […]). Eu égard aux menaces graves qu’un changement climatique en progression continue fait peser sur les droits protégés par l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF, comme des vagues de chaleur, des inondations ou encore des cyclones (cf. supra, au point no 22 sqq.), l’État est tenu par ce devoir non seulement à l’encontre des contemporains, mais également, en raison d’exigences du droit objectif, à l’encontre des générations futures.
149
L’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF impose d’une part une protection au moyen de mesures contribuant à limiter le réchauffement anthropique de la planète et le changement climatique qui en découle (cf. également l’article 2, paragraphe 1 a) de l’accord de Paris). Le fait que, compte tenu du caractère mondial du changement climatique, de ses causes et de ses effets, l’État allemand ne pourra pas l’arrêter tout seul, mais uniquement par une coopération internationale ne fait en principe pas obstacle à l’affirmation du devoir de protection découlant des droits fondamentaux ([…]). La dimension mondiale a toutefois une signification pour le contenu du devoir de protection en matière de changement climatique, découlant de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF. Ainsi, l’État est-il tenu de rechercher également au niveau international une solution au problème du changement climatique. Dans la mesure où le devoir de protection découlant de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF vise les dangers causés par le changement climatique, il exige de l’État qu’il agisse à l’échelon international pour protéger mondialement le climat et l’oblige à poursuivre l’objectif d’adopter, dans le cadre de la coopération internationale (par exemple au moyen de négociations ou de conventions internationales ou encore au sein d’organisations internationales), des mesures de protection du climat, auxquelles peuvent s’intégrer des mesures nationales contribuant à arrêter le changement climatique (plus en détail, cf. infra, au point no 200 sq. au sujet de l’article 20a LF).
150
D’autre part, l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF exige également de l’État qu’il prenne, dans la mesure où le changement climatique ne peut être arrêté ou qu’il s’est déjà matérialisé, activement des mesures de protection destinées à contrer les dangers provoqués par le changement climatique (mesures d’adaptation, pour plus de détails, cf. infra, au point no 164). De telles mesures sont nécessaires à titre complémentaire afin de limiter les effets réels du changement climatique à un degré constitutionnellement tolérable (cf. également l’article 2, paragraphe 1 b) de l’accord de Paris).
151
b) À présent, une violation du devoir de protection découlant des droits fondamentaux par les dispositions contestées par les requérants au motif qu’elles seraient insuffisantes ne peut être constatée.
152
aa) La question de savoir si des mesures suffisantes ont été prises pour répondre aux devoirs de protection imposés par les droits fondamentaux ne peut faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité que dans une mesure limitée (cf. Recueil BVerfGE 77, 170 <214 sq.> ; 79, 174 <202> ; jurisprudence constante). Les droits subjectifs qui découlent des droits fondamentaux et qui servent de garantie contre des ingérences de l’État d’une part, et les devoirs de protection qui résultent de la portée objective des droits fondamentaux d’autre part, se distinguent fondamentalement en ce sens que les premiers interdisent, de par leur objectif et leur contenu, un certain agissement de l’État, alors que les seconds sont en principe indéterminés. La décision quant à la manière dont des dangers doivent être contrés, à la formulation d’une stratégie de protection, puis à la mise en œuvre juridique de cette dernière appartient au législateur, auquel revient une marge d’évaluation, d’appréciation et d’action également dans les cas où il est tenu, sur le fond, de prendre des mesures pour assurer la protection d’un droit subjectif (cf. Recueil BVerfGE 96, 56 <64> ; 121, 317 <356> ; 133, 59 <76 point no 45> ; 142, 313 <337 point no 70> ; jurisprudence constante). Toutefois, lorsqu’existe en principe un devoir de protection, la question de l’efficacité des mesures de protection prises par l’État n’échappe pas pour autant au contrôle de constitutionnalité. La Cour constitutionnelle fédérale constatera la violation d’un devoir de protection soit lorsqu’aucune mesure n’a été prise, soit lorsque les mesures qui ont été prises sont manifestement inadaptées ou entièrement insuffisantes pour réaliser l’objectif exigé en matière de protection, soit encore lorsque les mesures prises restent nettement en deçà de ce qu’exige l’objectif de protection (cf. Recueil BVerfGE 142, 313 <337 sq. point no 70> et les références qui y sont citées ; jurisprudence constante).
153
bb) En définitive, tel n’est pas le cas en l’espèce.
154
(1) Le législateur allemand a adopté des mesures de protection qui ne sont pas manifestement inadaptées. Il a, notamment avec les dispositions contestées de la loi sur le climat, entrepris des efforts pour contribuer à la lutte contre le changement climatique. Les dispositions qu’il a adoptées ne sont pas manifestement inadaptées à la protection des droits consacrés par l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF.
155
Serait en revanche inadaptée une stratégie de protection axée sur une approche qui, bien que visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, n’aurait pas pour objectif la neutralité climatique (cf. § 2, no 9 KSG). Ce n’est qu’une fois que ces émissions auront été abaissées à un niveau équivalant à la neutralité climatique que le réchauffement de la planète pourra être arrêté (cf. supra, au point no 32). La loi sur le climat n’ignore pas cet objectif. L'engagement à atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050 en constitue le fondement (§ 1, 3e phrase KSG) ; il est évident que le taux d’au moins 55 % de réduction des émissions par rapport au niveau de ces dernières en 1990 (§ 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG) constitue uniquement un objectif intermédiaire sur le chemin vers la neutralité climatique.
156
Cela étant, ni l’objectif de neutralité climatique formulé pour une année cible particulière, ni l’objectif de réduction des émissions formulé par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG ne seraient en eux-mêmes adaptés pour maintenir un certain seuil de température. En effet, avec ces objectifs, ne serait pas encore déterminé quel volume de gaz à effet de serre pourrait être émis licitement d’ici-là (cf. supra, au point no 125), alors que l’ampleur du réchauffement de la planète et du changement climatique dépend du volume total des gaz à effet de serre qui restent dans l’atmosphère de la Terre. Cependant, la loi sur le climat ne se borne pas à indiquer un taux de réduction à atteindre d’ici une année cible et à formuler un objectif de neutralité climatique. Le § 3, alinéa 1, 1re phrase KSG dispose que les émissions de gaz à effet de serre devront être réduites progressivement. Cette obligation d’une réduction continue des émissions n’est pas limitée jusqu’à une échéance précise, mais s’impose jusqu’à ce que la neutralité en matière de gaz à effet de serre soit atteinte. En outre, le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 chiffre et limite de manière précise le volume d’émission permis en Allemagne jusqu’en 2030, même si ces chiffres n’incluent pas exhaustivement toutes les émissions de gaz à effet de serre. Les volumes annuels d’émission pour les périodes à partir de 2031 ne seront certes précisés qu’ultérieurement (§ 4, alinéa 1, 5e phrase et alinéa 6 KSG), mais en vertu du § 3, alinéa 1, 1re phrase KSG ils devront eux aussi être ajustés à la baisse. Ces modalités sont en principe adaptées pour préserver un certain seuil de température et par conséquent assurer une protection contre les dangers émanant du changement climatique.
157
(2) Il n’est pas non plus possible de conclure que la protection prévue par le législateur serait entièrement insuffisante pour atteindre l’objectif exigé en la matière par l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF. En revanche, serait entièrement insuffisante une approche qui consisterait à laisser libre cours au changement climatique et à satisfaire à l’exigence de protection découlant des droits fondamentaux uniquement au moyen de mesures d’adaptation (cf. supra, au point no 34) à ce changement (cf. Rechtbank de La Haye, jugement du 24 juin 2015, C/09/456689 / HA ZA 13-1396, point 4.75 ; Hoge Raad des Pays-Bas, arrêt du 20 décembre 2019, 19/00135, point 7.5.2). Les dangers pour la vie et la santé humaines ne sauraient, y compris en Allemagne, être durablement et suffisamment contenus uniquement au moyen de mesures d’adaptation ([…]). Le législateur est donc tenu de protéger la vie et la santé humaines en particulier par des contributions à la lutte contre le changement climatique. Il satisfait à cette exigence avec la loi sur le climat ainsi qu’avec d’autres lois qui limitent les émissions de gaz à effet de serre.
158
(3) En fin de compte, il n’est pas non plus possible de conclure que les dispositions contestées resteraient nettement en deçà du niveau de protection de la vie et de la santé humaines exigée en vertu de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF. Les requérants estiment toutefois que l’objectif formulé en matière de lutte contre le changement climatique par l’accord de Paris, sur lequel repose la loi sur le climat en vertu du § 1, 3e phrase KSG, est lui-même insuffisant (a). En outre, ils considèrent que les obligations prévues par la loi sur le climat en matière de réduction des émissions ne sont de toute façon pas aptes à atteindre cet objectif (b), et ils critiquent que les mesures concrètes décidées pour lutter contre le changement climatique sont insuffisantes pour réaliser ne serait-ce que les obligations définies par la loi sur le climat (c).
159
(a) Selon le § 1, 3e phrase KSG, la loi sur le climat repose sur l’obligation convenue dans l’accord de Paris de contenir l’augmentation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de préférence en dessous de 1,5 °C. Les requérants en revanche font valoir que le devoir de protection qui découle de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF ne pourra être honoré que si l’objectif poursuivi était celui de contenir cette augmentation en dessous de 1,5 °C. Il est généralement admis qu’une augmentation de la température de la planète de plus de 1,5 °C engendrerait des conséquences climatiques considérables (cf. à titre d’exemple, BMU, La protection du climat en chiffres, Klimaschutz in Zahlen, édition 2019, p. 10). Cette appréciation repose en particulier sur le Rapport spécial du GIEC de 2018 relatif aux effets d’un réchauffement de plus de 1,5 °C (GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Special Report, Global Warming of 1.5 °C, 2018 ; cf. également GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, 2018).
160
Le Rapport spécial ne contient certes pas l’affirmation que le réchauffement doive être limité à 1,5 °C. En effet, une telle conclusion ne saurait être présentée comme affirmation scientifique, étant donné que la question de décider jusqu’à quel point le réchauffement climatique peut et doit être toléré est une question normative qui exige un jugement de valeur. Le Rapport spécial dresse plutôt un tableau comparatif des effets d’un réchauffement de 1,5 °C et d’un réchauffement de 2 °C. En conclusion, le rapport souligne que les dangers que le changement climatique représente pour les systèmes naturels et humains seront moindre en cas de réchauffement de 1,5 °C qu’en cas de réchauffement de 2 °C (GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, 2018, récapitulatif à la p. 7, point A.3). Cette comparaison ne permet pas de conclure qu’il existe une nécessité absolue de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C.
161
L’objectif d’un réchauffement au maximum de 1,5 °C est cependant au centre de l’attention en particulier du fait que le Rapport spécial du GIEC laisse transparaître qu’une telle limitation réduirait en même temps nettement la probabilité que ne soient franchis des « points de basculement » (à ce sujet, cf. également Hoge Raad des Pays-Bas, arrêt du 20 décembre 2019, 19/00135, points 4.2 et 4.4 ; Supreme Court de l’Irlande, arrêt du 31 juillet 2020, 2015/19, point 3.7). Dans les faits, le franchissement de tels points de basculement aurait des conséquences négatives pour l’environnement et pour l’homme qui iraient nettement au-delà de celles des effets directs de l’augmentation de la température. Des sous-systèmes majeurs de la nature pourraient s’en trouver bouleversés (cf. supra, au point no 21). Par conséquent, le GIEC a durci son évaluation des risques qu’il avait présentée dans son rapport spécial de 2018. Alors qu’il y a quelques années, dans le cinquième Rapport d’évaluation du GIEC, le risque que des points de basculement soient franchis était qualifié de modéré lors d’un réchauffement de 1,6 °C et qualifié d’élevé lors d’un réchauffement de 4 °C, ce risque est désormais considéré par le GEIC comme modéré seulement lors d’un réchauffement de 1 °C et comme élevé dès un réchauffement de 2,5 °C (GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Special Report, Global Warming of 1.5 °C, 2018, chapitre 3, p. 257 sq., point 3.5.2.5 <degré de confiance moyen>). Le GIEC inclut dans son analyse par exemple la libération supplémentaire potentielle de CO2 du fait du futur dégel du pergélisol (GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, 2018, p. 14, point C.1.3). En particulier la déstabilisation de la calotte polaire de l’Antarctique et la perte irréversible de la calotte glaciaire du Groenland pourraient provoquer une élévation de plusieurs mètres du niveau de la mer à des échelles de temps allant de plusieurs siècles à plusieurs milliers d’années. Ces phénomènes d’instabilité pourraient être déclenchés aux alentours de 1,5 °C à 2 °C de réchauffement planétaire (GIEC, op. cit., p. 10, point B.2.2 <degré de confiance moyen>). Compte tenu de ces conclusions, une limitation du réchauffement planétaire à 1,5 °C permettrait de disposer d’une certaine marge de sécurité ([…]).
162
Si le législateur a néanmoins basé le régime juridique national en matière de lutte contre le changement climatique sur l’entente réalisée entre les États parties à l’accord de Paris, c’est-à-dire de contenir le réchauffement planétaire nettement en dessous de 2 °C, et si possible en dessous 1,5 °C, cela peut être critiqué sur le plan politique comme étant trop peu ambitieux. Toutefois, compte tenu de l’incertitude majeure que le GIEC lui-même a documentée en indiquant toute une série de fourchettes et d’impondérables, une marge de décision considérable demeure actuellement au législateur pour honorer le devoir de protection qui pèse sur lui en raison des droits fondamentaux (cf. Recueil BVerfGE 49, 89 <131> ; 83, 130 <141 sq.>), d’autant plus qu’il doit concilier les exigences de la protection de la santé avec des intérêts contraires (cf. Recueil BVerfGE 88, 203 <254>).
163
Contrairement à ce qu’affirment les requérants, il n’est à présent pas possible de conclure que le législateur aurait méconnu cette marge lorsqu’il a fondé sa décision sur les objectifs de l’accord de Paris. Il n’est pas possible de déduire directement sur le fondement des choix et déterminations normatifs relatifs à la lutte contre le changement climatique une violation des devoirs de protection découlant des droits fondamentaux. La protection du climat et la protection de la vie humaine et de l’intégrité physique consacrées en tant que droits fondamentaux à l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF se recoupent certes dans une mesure non négligeable, mais ne sont pas identiques ; ainsi est-il concevable que soient nécessaires des mesures dans le but de préserver un climat propice à l’environnement, aux animaux et aux humains qui ne le seraient pas dans le seul but de protéger la vie et la santé humaines, et vice versa. Il n’est justement pas possible d’exclure d’emblée qu’il vaille certes mieux viser un seuil de réchauffement planétaire de 1,5 °C, mais que l’objectif, retenu dans l’accord de Paris et repris par le législateur allemand, de contenir le réchauffement nettement en dessous de 2 °C, et si possible en dessous de 1,5 °C, soit suffisant pour protéger la vie et la santé humaines.
164
Des différences entre les exigences en matière de protection du climat et celles en matière de protection de la santé peuvent également résulter du fait que les dangers à la vie et à la santé causés par le changement climatique peuvent être atténués en partie par des mesures d’adaptation. Alors que le changement climatique en tant que tel ne peut être empêché au moyen de mesures d’adaptation et que tous les efforts doivent donc se concentrer sur une limitation du réchauffement de la Terre, une protection complémentaire par des mesures d’adaptation est en principe concevable en matière de protection contre les dangers pour la vie et la santé. La stratégie allemande d’adaptation énumère de nombreuses mesures des types les plus différents qui seraient susceptibles d’amortir les effets du changement climatique et d’éviter des conséquences graves (à ce sujet, cf. en particulier Gouvernement fédéral, Stratégie allemande d’adaptation au changement climatique, Deutsche Anpassungsstrategie an den Klimawandel, 2008 ; UBA, Rapport de suivi 2019 relatif à la stratégie allemande d’adaptation au changement climatique, Monitoringbericht 2019 zur Deutschen Anpassungsstrategie an den Klimawandel, 2019 ; Gouvernement fédéral, Second rapport d’avancement relatif à la stratégie allemande d’adaptation au changement climatique, Zweiter Fortschrittsbericht zur Deutschen Anpassungsstrategie an den Klimawandel, 2020). Ainsi, une architecture adaptée et l’aménagement urbain et paysager peuvent contribuer à atténuer le réchauffement des villes provoqué par le changement climatique, et dans les agglomérations l’apport d’air frais peut s’effectuer au moyen d’artères pour l’air frais, par exemple par des couloirs d’air frais dégagés et par des espaces verts servant « d’îlots de fraîcheur » (Gouvernement fédéral, Stratégie allemande d’adaptation au changement climatique, 2008, p. 19 ; UBA, op. cit., p. 160 sq.) ; dans les bassins versants, la protection contre le risque grandissant de crues peut être renforcée par des mesures passives de sécurité, notamment en laissant des terrains libres de toute construction, ainsi que par des mesures actives destinées à réguler le débit des fleuves ; l’utilisation de terrains nus à des fins d’habitation et d’infrastructure peut être réduite (cf. UBA, op. cit., p. 229), et il est prévu d’agir en vue de démanteler les constructions sur des terrains appropriés ou encore de désimperméabiliser, de renaturaliser et de reboiser de tels terrains (Gouvernement fédéral, Stratégie allemande d’adaptation au changement climatique, Deutsche Anpassungsstrategie an den Klimawandel, 2008, p. 43). La survenance d’inondations dues à des pluies torrentielles et causant de nombreux dégâts pourrait être réduite par l’installation de clapets anti-retour et par une transformation du système de canalisation (Gouvernement fédéral, op. cit., p.23). Ainsi, le Rapport d’avancement du gouvernement fédéral relatif à la stratégie d’adaptation conclut-il en ce qui concerne la santé humaine en Allemagne qu’il est possible de présumer qu’une vulnérabilité modérée, pouvant à certains égards aller jusqu’à une haute vulnérabilité, ira de pair dans un avenir proche avec une capacité d’adaptation moyenne, voire haute (Gouvernement fédéral, Rapport d’avancement relatif à la stratégie d’adaptation au changement climatique, Fortschrittsbericht zur Deutschen Anpassungsstrategie an den Klimawandel, 2015, p. 55).
165
Lorsque le gouvernement et le législateur considèrent sur ce fondement que si l’augmentation de la température moyenne de la Terre est contenue nettement en dessous de 2 °C et si possible en dessous de 1,5 °C (§ 1, 3e phrase KSG), les effets du changement climatique pourront être atténués en Allemagne au moyen de mesures d’adaptation d’une manière telle que le niveau de protection exigé par l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF soit respecté, ils ne méconnaissent alors pas, du moins à présent, la marge de décision que leur accorde le devoir de protection que leur imposent les droits fondamentaux.
166
(b) Les requérants critiquent en outre que les obligations concrètes jusqu’en 2030 formulées par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 en matière de réduction des émissions ne suffiraient même pas pour atteindre l’objectif, à leurs yeux également insuffisant, retenu au § 1, 3e phrase KSG de limiter le réchauffement planétaire nettement en dessous de 2 °C, et si possible en dessous de 1,5 °C. En effet, certains indices laissent penser qu’en suivant la trajectoire de réduction des émissions telle qu’elle est prévue jusqu’en 2030 par la loi sur le climat, il ne serait plus possible de réaliser une réduction totale pouvant correspondre à une contribution allemande à la limitation du réchauffement planétaire à 1,5 °C, et que le volume total des réductions visé, qui correspondrait à un objectif de limiter l’augmentation de la température à 1,75 °C, ne pourrait être réalisé qu’au prix d’un effort particulièrement lourd pendant la période postérieure à 2030 (en détail, cf. infra, au point no 231 sqq.). En revanche, une contribution en matière de réduction qui permettrait d’atteindre l’objectif d’un réchauffement limité à 2 °C apparaîtrait plutôt possible, ce qui ne respecterait toutefois pas l’objectif formulé par l’accord de Paris de contenir cette augmentation de la température « nettement en dessous de 2 °C ». La genèse du taux de réduction défini au § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG laisse penser que ce taux avait initialement été fixé dans le contexte de l’objectif d’un réchauffement limité à 2 °C. Dès 2010, le gouvernement fédéral avait formulé ce taux de réduction de 55 % comme objectif intermédiaire à atteindre en 2030, dans le cadre d’une trajectoire de réduction allant jusqu’en 2050 (BMU/Ministère fédéral de l’Économie, Bundeswirtschaftsministerium – BMWi, Concept énergétique 2010 pour un approvisionnement énergétique respectueux de l'environnement, fiable et abordable, Energiekonzept 2010 für eine umweltschonende, zuverlässige und bezahlbare Energieversorgung, 2010, p. 5). À cette époque, il ne visait apparemment qu’à éviter un réchauffement planétaire de plus de 2 °C (BMU, Programme d’action 2020 pour protéger le climat, Aktionsprogramm Klimaschutz 2020, 2014, p. 7).
167
Dans un tel contexte, il faut se demander si la trajectoire de réduction des émissions prévue jusqu’en 2030 par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 est conforme à l’obligation constitutionnelle de protéger le climat tirée de l’article 20a LF (cf. infra, aux points nos 196 sqq. et 230 sqq.). En outre, il n’est pas évident que la charge de réduction potentiellement très élevée qu’il faudra alors assumer à partir de 2031 soit justifiée au regard du droit constitutionnel (cf. infra, au point no 243 sqq.). En revanche, en ce qui concerne les seuls droits pertinents ici, à savoir les droits consacrés par l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF, il n’est à présent pas possible de conclure que l’État aurait violé son devoir de protection lorsqu’il a fixé la trajectoire de réduction jusqu’en 2030, laquelle avait sans doute été élaborée encore dans le contexte d’un objectif de 2 °C. Rien ne permet d’affirmer que les effets pour la santé d’un réchauffement de la planète de 2 °C et du changement climatique qu’il entraîne, ne puissent être atténués en Allemagne par des mesures d’adaptation complémentaires d’une manière qui satisfait suffisamment aux exigences du droit constitutionnel (cf. supra, au point no 163 sqq.). Il est certes exact que des mesures d’adaptation ne suffiraient pas pour satisfaire à l’exigence de protection de la santé si le législateur laissait libre cours au changement climatique (cf. supra, au point no 157) ; tel n’est toutefois pas le cas en l’espèce. Tant que le législateur ne renoncera pas à l’objectif formulé au § 1, 3e phrase KSG de parvenir dans un avenir proche à la neutralité climatique, afin d’atteindre l’objectif de l’accord de Paris sur lequel il s’est fondé, et qu’il reste attaché à la trajectoire de réduction prévue par le § 3, alinéa 1, KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 et prévoyant des taux de réduction croissant continuellement (cf. § 3, alinéa 3, 2nde phrase KSG) et des volumes d’émission décroissant annuellement (cf. § 4, alinéa 6, 1re phrase KSG), il ne sera pas possible de conclure, d’un point de vue actuel, qu’une protection de la santé conforme au droit constitutionnel ne serait en tout état de cause pas susceptible d’être réalisée au moyen de mesures d’adaptation complémentaires.
168
[…]
169
(c) Finalement, les requérants font valoir que les mesures concrètes prises en Allemagne pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ne suffiront même pas pour respecter la trajectoire de réduction, elle-même déjà insuffisante à leurs yeux, fixée jusqu’en 2030 par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2. Il existe des études scientifiques qui abondent dans le même sens. Ainsi, une étude demandée à l’institut de recherche Öko-Institut par l’Office fédéral de l’Environnement conclut que les mesures de l’actuel programme de protection du climat permettraient d’ici 2030 une réduction de seulement 51 % par rapport à l’année de référence 1990 (UBA, Treibhausgasminderungswirkung des Klimaschutzprogramms 2030, 2020, p. 22). Une étude demandée par le Ministère fédéral de l’Économie et de l’Énergie présume que la réduction par rapport à 1990 atteindra 52,2 % ([…]). Dans l’un comme dans l’autre cas, la réduction réalisée ne satisfera pas entièrement à l’objectif de 55 % fixé par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG.
170
Dès lors, fait déjà obstacle à la conclusion d’une violation du devoir de protection découlant de l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF le fait que les instruments nationaux concrets en matière de protection du climat peuvent encore être développés d’une manière permettant de réaliser l’objectif de réduction fixé pour 2030. Des insuffisances en matière de réduction peuvent encore être corrigées d’ici-là. Le § 4, alinéa 3,1re phrase KSG prévoit déjà une obligation de compenser lorsque les émissions auront dépassé le volume licite. Compte tenu qu’il est pronostiqué par les études susmentionnées que l’objectif de réduction ne sera pas atteint, un tel scénario n’est pas d’emblée irréaliste. […]
171
2. a) Le droit fondamentale de propriété garanti à l’article 14, alinéa 1 LF impose lui aussi à l’État un devoir de protection (cf. Recueil BVerfGE 114, 1<56>). Étant donné que suite au changement climatique, la propriété, en particulier les terrains agricoles et les immeubles, sera, également en Allemagne, susceptible de subir des dommages de différentes manières, l’article 14, alinéa 1 LF comprend une obligation de l’État de protéger la propriété contre les dangers émanant du changement climatique. À cet égard, joue un rôle important le fait que suite à un changement climatique auquel ne serait pas mis un terme, des maisons, voire des zones entières d’habitation pourraient devenir inhabitables également en Allemagne, par exemple du fait d’inondations ou de l’élévation du niveau de la mer (cf. supra, au point no25). La perte de la propriété irait de pair avec la perte de liens sociaux bien établis au sein de la collectivité locale. L’article 14, alinéa 1 LF exige également la prise en compte d’un tel ancrage local, car cette disposition garantit aussi une certaine protection d’un cadre social devenu un « chez nous (Heimat) » (cf. Recueil BVerfGE 134, 242 <331 sq. point no 270>).
172
b) Pour l’heure, il n’est toutefois pas possible de conclure à une violation, par les dispositions critiquées par les requérants, du devoir de protection découlant des droits fondamentaux. À cet égard également, compte tenu de la marge dont dispose le législateur lorsqu’il met en œuvre les devoirs de protection imposés par les droits fondamentaux, une violation de la Constitution pourra seulement être constatée soit lorsqu’aucune mesure n’a été prise, soit lorsque les mesures qui ont été prises sont manifestement inadaptées ou entièrement insuffisantes pour réaliser l’objectif exigé en matière de protection, soit encore lorsque les mesures prises restent nettement en deçà de ce qu’exige cet objectif de protection (cf. Recueil BVerfGE 142, 313 <337 sq. point no 70> et les références qui y sont citées ; jurisprudence constante). Le législateur dispose en particulier d’une large marge d’action pour concilier de manière proportionnée les intérêts des propriétaires menacés par le changement climatique et les intérêts qui entrent en conflit avec des mesures plus strictes en matière de protection du climat. À présent, rien ne permet de conclure que le législateur aurait excédé cette marge avec les dispositions contestées. […]
II.
173
Une violation du devoir de protection à l’encontre des requérants vivant au Bangladesh et au Népal ne peut en définitive être constatée.
174
1. Sur le plan du principe, il semble concevable que les devoirs de protection découlant des droits fondamentaux imposent à l’État d’agir pour protéger également les requérants vivant au Bangladesh et au Népal contre les préjudices provoqués par le changement climatique mondial, mais cette question peut rester ici sans réponse définitive. Dans leurs pays, les requérants sont particulièrement exposés aux conséquences du réchauffement planétaire causé par les gaz à effet de serre émis partout dans le monde. Du fait de l’effet planétaire des gaz à effet de serre, la progression du réchauffement de la Terre ne pourra être arrêté qu’au prix d’efforts consentis par tous les États. À cette fin, les émissions de gaz à effet de serre devront aussi être réduites en Allemagne à un niveau assurant la neutralité climatique. Les émissions de gaz à effet de serre produites en Allemagne constituent actuellement un peu moins de 2 % des émissions mondiales annuelles (BMU, La protection du climat en chiffres, Klimaschutz in Zahlen, édition 2020, p. 12) ; il appartient au législateur allemand de prendre des mesures pour limiter ces émissions.
175
L’effet des droits fondamentaux qui lie l’État allemand en vertu de l’article 1, alinéa 3 LF ne se limite pas au territoire allemand, mais il impose au contraire en toutes circonstances à la puissance publique allemande de respecter les droits fondamentaux consacrés par la Loi fondamentale (cf. Recueil BVerfGE 154, 152 <215 sq. point no 88 sq.> ‒ affaire BND – Surveillance des communications à l’étranger par les services de renseignement ; dans le même sens, cf. déjà Recueil BVerfGE 6, 32 <44> ; 6, 290 <295> ; 57, 9 <23> ; 100, 313 <363>). Toutefois, la Cour constitutionnelle fédérale a déjà relevé que l’effet concret de protection qui résulte des droits fondamentaux, y compris la portée à l’étranger de cette protection, pouvait, malgré le fait que les droits fondamentaux lient pleinement la puissance publique allemande, différer selon les circonstances dans lesquelles cet effet se déploie. Ainsi, une distinction peut-elle s’imposer entre les différentes dimensions des droits fondamentaux en tant que garanties contre des ingérences de l’État, en tant que droits à une prestation, en tant qu’expressions de jugements de valeur opérés par le droit constitutionnel ou encore en tant que sources de devoirs de protection (cf. Recueil BVerfGE 154, 152 <224 point no 104> ‒ affaire BND – Surveillance des communications à l’étranger par les services de renseignement ). La question de savoir dans quelles conditions les droits fondamentaux peuvent engendrer des devoirs de protection bénéficiant à des personnes qui vivent à l’étranger n’a jusqu’à présent pas encore été éclaircie en détail. Un critère permettant d’affirmer un devoir de protection pourrait être ici le fait que les préjudices graves que les requérants sont susceptibles de (continuer à) subir ont été causés dans une certaine mesure, bien que faible, par les émissions de gaz à effet de serre produites en Allemagne ([…]).
176
2. Un devoir de protection au bénéfice des requérants vivant au Bangladesh et au Népal ne serait toutefois pas identique à celui dont profitent les habitants de l’Allemagne. D’une manière générale, le contenu d’un devoir de protection découlant des droits fondamentaux peut différer selon que le bénéficiaire est une personne vivant à l’étranger ou sur le territoire national ; le cas échéant, ce contenu doit être adapté et différencié (cf. Recueil BVerfGE 100, 313 <363> et les références qui y sont citées ; 154, 152, 1re considération principale ‒ affaire BND – Surveillance des communications à l’étranger par les services de renseignement; [renvois à la doctrine allemande]). Tel serait le cas en l’espèce, si les devoirs de protection découlant des droits fondamentaux devaient s’appliquer au profit des personnes vivant au Bangladesh et au Népal.
177
À l’égard des personnes vivant en Allemagne, l’État remplit de deux façons son devoir de protéger les droits fondamentaux contre des atteintes causées par le changement climatique. D’une part, il est tenu de prendre des mesures qui contribuent à arrêter le réchauffement planétaire. D’autre part, il peut protéger les droits fondamentaux en adoptant des mesures d’adaptation qui n’atténueront certes pas le changement climatique, mais ses effets négatifs sur les droits fondamentaux des personnes vivant en Allemagne (cf. supra, aux points nos 34 et 164). Sans préjudice d’obligations plus strictes en matière de protection du climat qui peuvent découler de l’article 20a LF, il incombe aux responsables politiques de choisir comment remplir le devoir de protéger les droits fondamentaux, combinant des mesures de protection et d’adaptation, et opérant une mise en balance avec des intérêts susceptibles d’entrer en conflit avec ces mesures (cf. Recueil BVerfGE 88, 203 <254>).
178
L’État allemand pourrait certes protéger les personnes vivant à l’étranger de la même manière qu’il protège celles vivant en Allemagne, à savoir par une réduction des émissions de gaz à effet de serre causées en Allemagne. Le fait qu’il n’est pas en mesure de mettre un terme au changement climatique mondial, et qu’il ne peut réaliser efficacement cet objectif qu’au moyen d’une coopération internationale, ne fait pas obstacle de manière générale à ce qu’existe un devoir de protection (cf. supra, au point no 149). Cependant, l’État allemand ne disposerait pas de la même manière d’options supplémentaires pour protéger les personnes vivant à l’étranger. Eu égard aux limites que le droit international public impose à la puissance publique nationale, l’État allemand ne dispose de pratiquement aucune possibilité de procéder à l’étranger à des mesures d’adaptation pour protéger les personnes qui y vivent ([…]). Il appartient en effet aux États respectifs de choisir et d’arrêter les mesures nécessaires à cet égard. Alors que sur le territoire national, des mesures telles que l’utilisation de terrains nus ou encore le démantèlement de constructions, la désimperméabilisation, la renaturalisation, le reboisement de terrains appropriés, ainsi que la culture de variétés végétales résistantes constituent des pistes en principe réalisables, il est évident qu’à l’étranger, l’État allemand ne dispose pas de ces options. Ce constat est confirmé par une analyse de certaines des mesures d’adaptation que le GIEC estime possibles et nécessaires dans le monde entier (GIEC, Climate Change 2014, Changements climatiques 2014, Incidences, adaptation et vulnérabilité, Impacts, Adaptions and Vulnerability, 2014, p. 840 sqq.), parmi lesquelles figurent notamment une transformation des infrastructures existantes, afin d’assurer une meilleure protection contre la chaleur, le vent et les inondations. Pour les régions menacées par des cyclones et des crues, le GIEC cite comme mesures la construction de bâtiments plutôt bas et construits selon une conception aérodynamique, l’adaptation des systèmes d’évacuation des eaux usées, la construction de digues, y compris de protection contre des crues, le remblayage de plages, la rénovation de bâtiments, la promotion d’infrastructures durables dans les villes – comme des toitures végétalisées, des espaces verts et des surfaces de circulation préservant la capacité d’infiltration des sols –, la mise en place dans le domaine de l’agriculture de systèmes d’irrigation efficaces et de cultures de plantes tolérantes à la sécheresse, mais aussi le relogement de populations (GIEC, op. cit., p. 844 sqq.). Aucune de ces mesures ne saurait être mise en œuvre par l’État allemand directement dans les pays où vivent les requérants. À elle seule, cette raison aboutit à ce qu’un éventuel devoir de protection ne saurait être de même nature que celui dont bénéficient les habitants en Allemagne.
179
Cette observation n’exclut pas que l’Allemagne puisse assumer une responsabilité politique ou internationale pour que des mesures actives de protection de la population puissent être mises en œuvre dans les pays plus défavorisés ou encore plus fortement affectés par le changement climatique (Gouvernement fédéral, Stratégie allemande d’adaptation au changement climatique, Deutsche Anpassungsstrategie an den Klimawandel, 2008, p. 54 sqq. ; Gouvernement fédéral, Second rapport d’avancement relatif à la stratégie allemande d’adaptation au changement climatique, Zweiter Fortschrittsbericht zur Deutschen Anpassungsstrategie an den Klimawandel, 2020, p. 60 sq.). L’article 9, paragraphe 1 de l’accord de Paris dispose explicitement que les États parties qui sont des pays développés fournissent aux États parties qui sont des pays en développement des ressources financières afin de soutenir ces derniers dans leurs efforts d’adaptation (au sujet des différentes responsabilités en matière de protection du climat, cf. en particulier l’article 2, paragraphe 2 de l’accord de Paris).
180
3. Même si l’État allemand devait être obligé en vertu de l’article 2, alinéa 2, 1rephrase LF et de l’article 14, alinéa 1 LF de contribuer à une limitation du réchauffement planétaire dans le but de protéger les requérants vivant au Bangladesh et au Népal, un tel devoir de protection ne se trouverait pas violé par les dispositions contestées. Comme il a déjà été observé, il n’est pas possible de reprocher au législateur de n’avoir pris aucune mesure pour limiter le changement climatique, ni d’avoir adopté seulement des dispositions et des mesures qui seraient manifestement inadaptées ou entièrement insuffisantes pour réaliser l’objectif exigé en matière de protection (cf. supra, au point no 154 sqq.). En particulier, l’Allemagne a adhéré à l’accord de Paris, et le législateur fédéral a, au § 1, 3e phrase KSG, réaffirmé que les fondements sur lesquels repose la loi sur le climat sont tant les engagements pris avec l’accord de Paris que l’attachement de la République fédérale d’Allemagne à l’objectif à long terme de réaliser la neutralité climatique d’ici l’année 2050. Au § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et au § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 sont réglées des obligations concrètes en matière de réduction des émissions jusqu’en 2030. De nombreuses autres lois prévoient également des mesures pour limiter le changement climatique.
181
Le critère supplémentaire applicable dans un contexte purement national lors d’une évaluation des mesures de protection adoptées, à savoir que ces mesures ne doivent pas rester nettement en deçà de ce qu’exige l’objectif de protection (cf. Recueil BVerfGE 142, 313 <337 sq. point no 70> ; jurisprudence constante), pourrait ne pas s’appliquer en ce qui concerne un devoir de protéger les requérants vivant à l’étranger contre les dangers émanant du changement climatique. À cet égard, le critère d’examen devrait être modifié pour tenir compte des particularités d’un devoir de protéger des personnes vivant à l’étranger. La réponse à la question de savoir si les précautions prises contre les dangers émanant du changement climatique restent nettement en deçà de ce qu’exige l’objectif de protection ne pourrait alors être fournie de manière isolée sur le seul fondement des mesures de prévention contre le changement climatique. Cette réponse dépendrait en fait aussi de la nature des mesures d’adaptation qui seraient possibles pour assurer une protection contre les conséquences du changement climatique. Cette situation n’est pas, dans un contexte de faits survenus à l’étranger, fondamentalement différente par rapport à celle dans un contexte purement national (à cet égard, cf. supra, aux points nos 154, 164 et 177). La différence repose plutôt dans le fait que dans des cas où les faits surviennent à l’étranger, l’État allemand n’a pas la possibilité de prendre des mesures d’adaptation en tant que précaution contre les effets du changement climatique (cf. supra, au point no 178). Dans un tel cas, n’est à sa disposition qu’une partie des mesures possibles et nécessaires à l’étranger pour assurer une protection contre le changement climatique. La réponse à la question de savoir si les mesures prises sont suffisantes ou insuffisantes pour protéger les droits fondamentaux ne pourrait toutefois être donnée qu’après une appréciation d’ensemble des mesures de protection du climat ainsi que des éventuelles mesures d’adaptation. Lorsqu’il s’agit de remplir un devoir de protection découlant des droits fondamentaux, la réduction des émissions et les mesures se complémentent et sont indissociablement liées. Dès lors, il ne serait pas possible de conclure à la violation d’un éventuel devoir de protection. Au contraire, la République fédéale d’Allemagne, et en particulier le législateur allemand, aurait rempli son devoir de protection du fait de l’engagement international pour le climat ainsi que du fait des mesures concrètes adoptées pour mettre en œuvre ce qui a été convenu au niveau international en matière de protection du climat (cf. supra, au point no 154 sqq.).
III.
182
En revanche, le législateur a porté atteinte aux droits fondamentaux lorsqu’il a omis de prendre des mesures de précaution suffisantes pour aménager les obligations de réduction des émissions d’une manière ménageant les droits fondamentaux – des obligations susceptibles d’être très considérables compte tenu des émissions admises jusqu’en 2030 en vertu de la loi. Dans cette mesure, le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 portent dès à présent atteinte aux droits fondamentaux des requérants dans les affaires 1 BvR 96/20 et 1 BvR 288/20 et des requérants sous 1) à 11) dans l’affaire 1 BvR 2656/18.
183
Le choix du législateur de permettre jusqu’en 2030 le volume d’émission de CO2 tel qu’il a été précisé par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 entraîne pour la liberté des requérants pleinement protégée par la Loi fondamentale un effet anticipé similaire à celui d’une ingérence (eingriffsähnliche Vorwirkung) et nécessite une justification si elle doit être conforme au droit constitutionnel (1). Il est vrai que la menace pesant sur les libertés n’est pas contraire à la Constitution du fait que le droit constitutionnel objectif serait violé ; une violation de l’article 20a LF ne peut être constatée (2 a). Cela étant, le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 sont contraires à la Constitution dans la mesure où ils font peser une menace disproportionnée d’ingérences dans l’exercice futur de la liberté garantie par les droits fondamentaux. Étant donné que les volumes d’émission licites jusqu’en 2030 en vertu de ces dispositions réduisent considérablement les possibilités restantes de produire postérieurement à 2030 des émissions d’une manière qui respecte l’exigence constitutionnelle de protéger le climat, le législateur est tenu de prévoir des mesures de précaution suffisantes pour assurer un passage vers la neutralité climatique qui ménage la liberté. Sous certaines conditions, la Loi fondamentale exige une préservation dans le temps de la liberté garantie par les droits fondamentaux et une répartition proportionnée des opportunités de liberté entre les générations. Dans leur dimension de garantie de la liberté dans le temps, les droits fondamentaux protègent les requérants contre un report unilatéral vers l’avenir de la charge imposée par l’article 20a LF de réduire les émissions de gaz à effet de serre (à cet égard, cf. déjà supra, au point no 117 sqq.). En l’espèce, manquent ainsi des dispositions minimales relatives aux obligations en matière de réduction des émissions postérieurement à 2030 qui seraient adéquates pour fournir en temps utile une orientation et une stimulation essentielles pour le développement nécessaire de technologies et de pratiques climatiquement neutres (2 b).
184
1. a) Le choix du législateur de permettre jusqu’en 2030 le volume d’émission de CO2 précisé par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no2 entraîne pour la liberté des requérants protégée par la Loi fondamentale un effet anticipé similaire à celui d’une ingérence (eingriffsähnliche Vorwirkung). La Loi fondamentale protège toute forme d’exercice de la liberté, au moyen des libertés spécifiques et en tout état de cause aussi au moyen de la liberté générale d’agir (cf. Recueil BVerfGE 6, 32 <36 sq.> ; jurisprudence constante) que l’article 2, alinéa 1 LF consacre en tant que « liberté générale » fondamentale ([…]). Est donc également protégé par cette liberté le très grand nombre de pratiques de la vie quotidienne, du monde du travail et de l’économie (cf. supra, au point no 37) qui actuellement provoquent de manière directe ou indirecte des émissions de CO2 dans l’atmosphère.
185
Cependant, tout exercice de la liberté de ce type est également assujetti aux limites qui, d’une part, sont imposées par le législateur pour la protection du climat conformément à l’article 20a LF et qui, d’autre part, sont nécessaires pour respecter les devoirs de protection découlant des droits fondamentaux. Les possibilités d’exercer la liberté protégée par la Loi fondamentale d’une manière qui implique directement ou indirectement des émissions de CO2 se heurtent à des limites imposées par le droit constitutionnel, étant donné qu’en l’état actuel, les émissions de CO2 sont pour l’essentiel irréversibles et contribuent au réchauffement planétaire, et que la Constitution interdit au législateur de demeurer inactif face à un changement climatique progressant à l’infini. L’obligation découlant de l’article 20a LF de protéger le climat (cf. Recueil BVerfGE 118, 79 <110 sq.> ;137, 350 <368 sq. point no 47, 378 point no 73> ; 155, 238 <278 point no 100>) est à cet égard déterminante du point de vue du droit constitutionnel, et le législateur a précisé cette obligation lorsqu’il a formulé l’objectif de contenir l’augmentation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de préférence en dessous de 1,5 °C (cf. infra, au point no 208 sqq.). Lorsque le budget de CO2 correspondant à un tel seuil de température s’amenuit, des pratiques qui conduisent directement ou indirectement à des émissions de CO2 ne pourront être admises que dans la mesure où les droits fondamentaux qui les protègent prévalent lors de la mise en balance avec la protection du climat. Dans le cadre de cette mise en balance, les dégradations de plus en plus sévères de l’environnement conduiront à ce que l’importance relative de l’exercice de la liberté diminue plus le changement climatique progresse.
186
Dans un tel contexte, des dispositions admettant à présent des émissions de CO2 portent en elles une menace irréversible pour la liberté future, étant donné que tout volume d’émission de CO2 autorisé aujourd’hui réduit inexorablement le budget résiduel prévu par le droit constitutionnel et qu’un usage de la liberté ayant un effet en matière de CO2 sera à l’avenir soumis à des restrictions de plus en plus contraignantes imposées par les exigences découlant du droit constitutionnel (pour plus de détails, cf. supra, au point no 117 sqq.). Il est certes exact qu’un usage de la liberté ayant un effet sur les émissions de CO2 devra à un moment donné de toute manière cesser pour l’essentiel, étant donné qu’il ne pourra être mis un terme au réchauffement de la planète que si la concentration de CO2 dans l’atmosphère due à l’activité de l’homme cesse d’augmenter. Toutefois, une consommation d’une large partie du budget de CO2 déjà d’ici 2030 aggrave le risque de pertes graves de liberté, étant donné qu’une telle approche réduit le délai pour des évolutions techniques et sociales qui permettraient de passer, d’une manière ménageant la liberté, d’un mode de vie qui repose actuellement encore dans une très large mesure sur des émissions de CO2 à des comportements ayant un bilan neutre pour le climat (cf. supra, au point no 121). Plus le budget résiduel est petit et plus le niveau des émissions est élevé, moins il reste de temps pour les évolutions nécessaires. Et moins il sera possible de profiter de telles évolutions, plus les titulaires de droits fondamentaux seront sensiblement affectés par les restrictions qui, au fur et à mesure que le budget résiduel de CO2 diminue, seront imposées par le droit constitutionnel aux activités impliquant des émissions de CO2 de manière de plus en plus sévère.
187
Concrètement, ce sont les dispositions fixant les volumes d’émission de CO2 actuellement licites qui provoquent une menace pour les libertés. Dans le droit en vigueur relatif à la protection du climat, il s’agit des dispositions du § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et du § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2. La consommation des volumes annuels d’émission qui y sont prévus jusqu’en 2030 épuise forcément et irréversiblement une partie du budget résiduel de CO2. Ces deux dispositions déterminent donc elles aussi combien de temps restera pour procéder à la transformation nécessaire pour préserver la liberté et en même temps satisfaire à l’obligation de protéger le climat. Les volumes annuels d’émission licites en vertu du § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et du § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 ont donc un effet anticipé inévitable similaire à celui d’une ingérence sur les possibilités qui resteront après 2030 de réellement exercer la liberté protégée par les droits fondamentaux. Cet effet anticipé n’est pas un simple effet de fait, mais il est provoqué par le droit applicable : c’est le droit constitutionnel lui-même qui, avec chaque portion consommée du budget de CO2, lequel n’est pas inépuisable, exige de manière de plus en plus pressante que cesse un usage de la liberté ayant un effet sur les émissions de CO2. En raison de l’effet actuellement pour l’essentiel irréversible une fois que des émissions ont été permises, puis relâchées dans l’atmosphère, l’effet anticipé similaire à celui d’une ingérence et causé par le droit applicable régissant actuellement les volumes d’émission nécessite dès à présent une justification pour être conforme au droit constitutionnel.
188
b) La justification au regard du droit constitutionnel de ce risque de pertes futures de liberté exige d’une part que les deux dispositions de la loi sur le climat qui contribuent à déterminer l’étendue des pertes futures de liberté soient conformes aux choix élémentaires exprimés dans la Loi fondamentale (aa). D’autre part, elles ne doivent pas imposer de contraintes disproportionnées à l’exercice futur de la liberté des requérants (bb).
189
aa) Une ingérence dans les droits fondamentaux n’est susceptible d’être justifiée au regard du droit constitutionnel que si les dispositions qui imposent cette ingérence sont conformes aux choix élémentaires arrêtés par la Loi fondamentale (pour la décision de principe en la matière, cf. Recueil BVerfGE 6, 32 <41> ; jurisprudence constante). La même constatation s’applique au 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et au § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no2, compte tenu de l’effet anticipé similaire à celui d’une ingérence que ces dispositions ont sur la liberté protégée par les droits fondamentaux.
190
Un tel choix élémentaire est couché à l’article 20a LF (cf. Recueil BVerfGE 128, 1 <48> ; 134, 242 <339 point no 289>). La conformité à l’article 20a LF est donc une précondition pour qu’une ingérence dans les droits fondamentaux puisse être justifiée au regard du droit constitutionnel (cf. déjà Recueil BVerfGE 134, 242 <339 point no 289, 342 sq. point no 298, 354 sq. point no 327>; [renvois à la doctrine allemande]; question laissée en suspens par la Cour constitutionnelle fédérale, arrêt de la troisième section de la première chambre du 10 novembre 2009 – BvR 1178/07 –, point no 32). Ainsi, la menace, aussi, pour une liberté future qui résulte du § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et du § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 ne serait pas susceptible d’être justifiée au regard du droit constitutionnel, si ces dispositions étaient contraires à l’article 20a LF, car la protection du climat exigée par la Constitution ne pourrait plus être réalisée après 2030 compte tenu des volumes d’émissions qui sont permis jusqu’en 2030.
191
[…]
192
bb) Des exigences supplémentaires en matière de justification au regard du droit constitutionnel découlent du principe de proportionnalité. Les droits fondamentaux imposent au législateur d’aménager avec prévoyance la réduction des émissions de CO2 exigée par l’article 20a LF en vue de réaliser la neutralité climatique et ce, d’une manière telle que les pertes de liberté entraînées demeurent tolérables, malgré les obligations devenant plus strictes en matière de protection du climat, et que la répartition, dans le temps et entre les générations, des charges liées à la réduction des émissions ne se fasse pas uniquement au détriment de l’avenir ([renvois à la doctrine allemande]). Il résulte du principe de proportionnalité que l’on ne saurait permettre à une certaine génération d’épuiser la majeure partie du budget résiduel de CO2 en ne réduisant les émissions que de façon relativement modérée, si une telle approche a pour effet de faire porter aux générations qui suivent un fardeau écrasant – des charges que les requérants qualifient de « freinage complet » – et de confronter ces générations à une vaste perte de leur liberté. À l’avenir, même des pertes graves de liberté seront susceptibles d’être justifiées au regard du principe de proportionnalité et du droit constitutionnel en vue de protéger le climat ; c’est justement de ce fait que découle le risque de devoir alors accepter des pertes substantielles de liberté (cf. supra, aux points nos 117 et 120). Étant donné que les choix qui engendreront des conséquences pour la liberté ont été arrêtés dès à présent avec les dispositions relatives aux volumes d’émission, les effets affectant l’exercice futur de la liberté doivent toutefois être proportionnés du point de vue et à l’heure actuels – car c’est aujourd’hui que ces choix peuvent encore être rectifiés.
193
Cette conclusion est confirmée par l’existence du devoir de protection découlant du droit constitutionnel objectif dans l’article 20a LF. Lorsque ce dernier impose à l’État de protéger les fondements naturels de la vie en assumant sa responsabilité pour les générations futures, l’objectif premier est de préserver les fondements naturels de la vie pour le bénéfice des générations futures. En même temps, cette obligation a également un impact sur la répartition entre les générations des charges à supporter pour protéger l’environnement. Le devoir de protection formulé à l’article 20a LF va de pair avec l’impératif de prendre soin des fondements naturels de la vie d’une manière qui permette de les léguer aux générations futures dans un état qui laisse à ces dernières un choix autre que celui de l’austérité radicale si elles veulent continuer à préserver ces fondements ([…]).
194
Par conséquent, lorsqu’il s’agit d’éviter une répartition de la liberté et des charges en matière de réduction à trop court terme, et donc trop unilatérale, au détriment de l’avenir, il est nécessaire, dans le cas de l’espèce, d’épuiser suffisamment en douceur le budget limité, de façon à gagner du temps pour lancer assez tôt les opérations de transformation nécessaires qui permettront d’atténuer les pertes de liberté causées par la réduction des émissions rendue inéluctable par les exigences constitutionnelles, une transformation offrant des possibilités alternatives d’activités sans émission de CO2. Les dispositions contestées seraient contraires à la Constitution si elles permettaient que soit consommée une si grande partie du budget résiduel de CO2 que les pertes futures de liberté prendraient, d’un point de vue actuel, inévitablement des dimensions telles qu’elles deviendraient intolérables, car elles ne laisseraient plus de temps pour des évolutions atténuant ces pertes, ni pour des opérations de transformation. Si, compte tenu de l’incertitude, due à de nombreux facteurs, quant à la question du volume futur réel du budget résiduel de CO2 (cf. infra, au point no 220 sqq.), il n’est pas possible de constater, ou d’exclure, avec certitude que de telles pertes de liberté intolérables d’un point de vue actuel seront inévitables, il est néanmoins possible qu’il soit dès aujourd’hui nécessaire d’adopter des mesures pour au moins limiter un tel risque. Lorsque des dispositions acceptent le risque d’engendrer des restrictions sérieuses aux droits fondamentaux, ces derniers peuvent, selon la nature et la gravité des effets engendrés, imposer que ces dispositions juridiques prévoient des modalités pour maîtriser le risque d’atteintes aux droits fondamentaux (pour la décision de principe en la matière, cf. Recueil BVerfGE 49, 89 <141 sq.>). En tout état de cause, le principe de proportionnalité ne protège pas seulement contre des mesures absolument inacceptables, mais il exige déjà en amont que la liberté protégée par les droits fondamentaux soit traitée d’une manière qui la ménage. Il résulte de ce qui précède que le législateur est en l’espèce susceptible d’être obligé de prendre avec prévoyance des mesures de précaution pour assurer une gestion des réductions nécessaires après 2030 qui ménage les droits fondamentaux (cf. infra, au point no 244 sqq.).
195
2. Compte tenu de la menace sérieuse qu’il fait peser sur la liberté lors des étapes ultérieures de la trajectoire de réduction, le régime prévu par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3ephrase KSG combiné à l’annexe no2 des volumes d’émission permis jusqu’en 2030 n’est pas conforme à la Constitution sans mesures de précaution supplémentaires. L’effet anticipé de ces dispositions relatives aux volumes d’émission n’est pas pleinement justifiable au regard du droit constitutionnel. Certes, en fin de compte aucune objection convaincante ne saura être avancée contre la compatibilité de ces dispositions avec les exigences objectives découlant du droit constitutionnel. Il n’est pas possible de conclure à une violation par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 de l’obligation de protéger le climat tirée de l’article 20a LF (a). Ces dispositions sont toutefois contraires à la Constitution dans la mesure où elles portent en elles une menace actuellement non suffisamment maîtrisée qui pourrait conduire à des restrictions graves des droits fondamentaux dans l’avenir. Du fait que les volumes d’émission prévus jusqu’en 2030 par ces deux dispositions réduisent sensiblement les possibilités restantes de produire des émissions, il faut, dans l’intérêt d’assurer un passage à la neutralité climatique qui ménage la liberté, que des mesures de précaution suffisantes soient prises pour alléger les contraintes qui pèseront sur les requérants à partir de 2031 en matière de réduction des émissions et ainsi circonscrire la menace pour les droits fondamentaux qui va de pair avec cette réduction. À cette fin, les modalités des obligations relatives aux impératifs ultérieurs en matière de réduction après 2030 doivent fournir une orientation et une stimulation suffisantes pour le développement et la pleine mise en œuvre de technologies et de pratiques climatiquement neutres. De telles modalités font à présent défaut (b).
196
a) La justification de l’effet anticipé sur les droits fondamentaux que déploient le 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3ephrase KSG combiné à l’annexe no2 présuppose que les dispositions contestées soient conformes également au droit constitutionnel objectif (cf. supra, au point no 189 sqq.). Des exigences déterminantes résultent à cet égard de l’article 20a LF dont découle l’obligation constitutionnelle de protéger le climat (aa). À présent, une violation de cette obligation par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 (bb) ou par les mesures spécifiques prises concrètement à cette fin (cc) ne peut être constatée. Le législateur n’a pas non plus violé l’article 20a LF au motif qu’il aurait manqué d’établir les faits ou de suffisamment motiver la loi sur le climat (dd). Toutefois, le législateur demeure obligé de mettre en œuvre les efforts dont il a témoigné pour concrétiser l’obligation de l’article 20a LF, à savoir de s’efforcer à limiter si possible l’augmentation de la température mondiale en dessous de 1,5 °C (ee).
197
aa) L’article 20a LF impose à l’État un devoir de protéger le climat (1). Le fait que le climat et le réchauffement de la Terre, de par leur nature des phénomènes planétaires, excluent que les problèmes liés au changement climatique soient résolus par un État seul ne fait pas obstacle à ce devoir de protéger le climat, mais il en influence la portée. Puisque le législateur allemand ne saurait, en raison de la dimension mondiale du changement climatique, réaliser à lui tout seul l’obligation imposée par l’article 20a LF de protéger le climat, cette disposition constitutionnelle exige également que des solutions soient recherchées à l’échelon international (2). Le caractère ouvert de l’article 20a LF ainsi que son renvoi explicite au législateur n’excluent pas que soit opéré un contrôle de constitutionnalité des mesures destinées à mettre en œuvre l’obligation de protéger le climat ; l’article 20a LF contient une norme juridique susceptible d’être invoquée en justice, une norme dont l’objectif est d’imposer au processus politique la prise en compte de préoccupations environnementales, notamment en ce qui concerne les générations futures qui seront particulièrement affectées par le changement climatique (3). Par le § 1, 3e phrase KSG, le législateur a procédé à une concrétisation décisive et licite de l’objectif de protéger le climat formulé par l’article 20a LF lorsqu’il a adopté l’exigence de contenir l’augmentation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de préférence en dessous de 1,5 °C (4).
198
(1) L’article 20a LF impose à l’État de protéger le climat (cf. Recueil BVerfGE 118, 79 <110 sq.> ; 137, 350 <368 sq. point no 47, 378 point no 73> ; 155, 238 <278 point no 100>). Le paramètre le plus important pour évaluer l’état du système climatique de la Terre dans son ensemble est la température moyenne de la planète. Par conséquent, l’obligation de protéger le climat vise essentiellement à ce que ne soit pas franchi un seuil de température sur lequel l’on pourrait encore arrêter le réchauffement planétaire causé par l’homme. Le réchauffement qui peut actuellement être constaté est dû aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre diffusées dans l’atmosphère. Afin d’arrêter le réchauffement de la Terre au seuil déterminant du point de vue du droit constitutionnel (cf. infra, au point no 208 sqq.), il faut éviter une augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère qui dépasse ce seuil. En effet, la concentration de gaz à effet de serre et le changement climatique déclenché par le réchauffement planétaire qu’elle provoque sont, en l’état actuel des connaissances, pour l’essentiel irréversibles. Dès lors, les mesures qui s’imposent principalement sont des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (à cet égard, cf. déjà Recueil BVerfGE 118, 79 <110>). Lorsque sont atteintes les limites que le droit constitutionnel trace en matière d’un réchauffement supplémentaire de la Terre, l’obligation constitutionnelle de protéger le climat oblige à prendre des mesures pour que les émissions de gaz à effet de serre soient limitées dans l’atmosphère à un niveau neutre (cf. également § 1, 3e phrase et § 2, no 9 KSG). Par conséquent, l’article 20a LF vise également à la réalisation de la neutralité climatique. Cela étant, l’article 20a LF ne bénéficie pas d’une primauté absolue par rapport à tous les autres intérêts en jeu, mais doit, en cas de conflit, être concilié avec d’autres droits et principes protégés par la Constitution (cf. document du Bundestag no 12/6633, p. 6 sq. ; Recueil BVerfGE 127, 293 <328> […]). Cette observation s’applique également à l’obligation de protéger le climat laquelle découle de l’article 20a LF. Étant donné le caractère irréversible du changement climatique en l’état actuel des connaissances, un dépassement du seuil de température à respecter pour protéger le climat ne pourra être justifié que lorsque des conditions strictes seront remplies – par exemple au motif d’une protection des droits fondamentaux. En outre, dans le contexte de cette mise en balance d’intérêts, l’importance relative de l’obligation de protéger le climat continuera d’augmenter plus le changement climatique progresse.
199
(2) Le fait que le climat et le réchauffement de la planète constituent des phénomènes mondiaux et que, dès lors, les problèmes causés par le changement climatique ne pourront être résolus par l’action d’un seul État, ne fait pas obstacle à l’obligation formulée par l’article 20a LF de protéger le climat. Tout comme le changement climatique lui-même, cette obligation comporte une dimension internationale particulière. L’article 20a LF impose à l’État de rechercher une solution au problème du changement climatique, et ce notamment à l’échelon supra-étatique (a). Si elles sont intégrées dans un cadre international, les mesures nationales de protection du climat seront en mesure de déployer les effets exigés par l’article 20a LF ; l’obligation constitutionnelle de protéger le climat impose que ces mesures soient prises, même si elles ne sont pas capables de résoudre le problème du changement climatique en elles-mêmes (b).
200
(a) En imposant la protection des fondements naturels de la vie également au bénéfice des générations futures, l’article 20a LF prévoit un devoir en matière de climat que le législateur national ne peut réaliser tout seul, mais uniquement à travers la coopération internationale. Cette conclusion est due aux réalités concrètes du changement climatique et de la protection du climat. Le problème du réchauffement de la Terre et la lutte (avec les moyens du droit) contre ce réchauffement constituent des phénomènes réellement mondiaux ([…]). Aucun État ne pourra arrêter à lui tout seul le réchauffement planétaire. En même temps, toute émission diffusée par tout État contribue pareillement au changement climatique (dans le même sens, cf. Rechtbank de La Haye, jugement du 24 juin 2015, C/09/456689 / HA ZA 13-1396, point 4.90). Une solution du problème climatique mondial n’est possible que si des mesures de protection du climat sont prises mondialement.
201
En conséquence, l’obligation de protéger le climat imposée par l’article 20a LF dépasse nécessairement les limites des moyens du droit national que seul l’État individuel a à sa disposition et doit être entendue également comme renvoi vers des actions au niveau international. L’obligation constitutionnelle de protéger le climat revêt ainsi d’emblée une « dimension internationale » ([…]). Elle impose à l’État qu’il agisse à l’échelon international pour protéger mondialement le climat et oblige en particulier le gouvernement fédéral à poursuivre l’objectif de réaliser, dans le cadre de la coopération internationale (par exemple au moyen de négociations ou de conventions internationales ou encore au sein d’organisations internationales), la protection du climat (à cet égard, cf. déjà accessoirement Cour constitutionnelle fédérale, arrêt de la troisième section de la première chambre du 26 mai 1998 – BvR 180/88 –, point no 23 ; [renvois à la doctrine allemande]). Cela étant, la dimension internationale de l’article 20a LF ne se borne pas à imposer le devoir de rechercher à l’échelon international une solution au problème climatique et si possible de parvenir à un accord à cet égard. En fait, l’obligation constitutionnelle de protéger le climat s’étend également à la mise en œuvre des solutions convenues ([…]). L’article 20a LF imposerait en outre un devoir de prendre des mesures nationales de protection du climat même dans le cas où la coopération internationale ne permettrait pas de parvenir à un accord juridique formel. Les organes de l’État sont tenus de protéger le climat indépendamment d’un tel accord, mais doivent néanmoins continuer à rechercher en même temps des possibilités de coopération internationale pour augmenter l’efficacité des mesures nationales de protection du climat.
202
(b) En tout état de cause, ne saurait être opposée aux mesures nationales de protection du climat l’objection que ces mesures ne peuvent faire cesser le changement climatique. Il est certes exact que l’Allemagne ne peut à elle seule arrêter ce changement. Son action isolée ne peut évidemment pas créer un lien de cause à effet ayant un impact déterminant en matière du changement climatique et de protection du climat. Le changement climatique ne peut être arrêté que si la neutralité climatique est réalisée à l’échelon mondial. Compte tenu de la nécessité de réduire mondialement les émissions de CO2, la part de l’Allemagne constituant actuellement un peu moins de 2 % des émissions mondiales de ces gaz (BMU, La protection du climat en chiffres, Klimaschutz in Zahlen, édition 2020, p. 12) est en soi assez faible. Toutefois, si les mesures allemandes de lutte contre le changement climatique font partie d’un effort mondial en la matière, elles sont, en tant qu’élément d’un effort global, susceptibles de parvenir à arrêter ce changement ([…]).
203
L’État ne saurait à cet égard se dégager de sa responsabilité en soulignant les émissions de gaz à effet de serre produites par d’autres États (cf. Tribunal administratif de Berlin, jugement du 31 octobre 2019 – 10 K 412.18 –, point no 74 ; cf. également Cour administrative fédérale, arrêt du 30 juin 2005 –7 C 26/04 –, point no 35 sq. ; High Court of New Zealand, décision du 2 novembre 2017, CIV 2015-485-919 [2017] NZHC 733, point no 133 sq. ; Gerechtshof de La Haye, arrêt du 9 octobre 2018, 200.178.245/01, point no 64 ; Hoge Raad des Pays-Bas, arrêt du 20 décembre 2019, 19/00135, point 5.7.7 ; United States Court of Appeals for the Ninth Circuit, arrêt du 17 janvier 2020, No 18-36082, p. 19 sq.). Au contraire, il résulte de cette dépendance particulière de la communauté internationale un impératif constitutionnel de réellement prendre des mesures propres, et si possible convenues à l’échelon international, pour protéger le climat. C’est justement parce que l’État ne peut mettre en œuvre avec succès l’obligation découlant de l’article 20a LF de protéger le climat que par la coopération internationale qu’il ne doit pas inciter d’autres États à compromettre cette action commune. Par ses actions, l’État doit également renforcer la confiance internationale en la possibilité que la protection du climat, y compris au moyen d’une mise en œuvre d’objectifs convenus dans des accords, est possible dans des conditions dignes, y compris en ce qui concerne les libertés protégées par les droits fondamentaux. La solution pratique du problème mondial de protection du climat dépend dès lors de façon déterminante de la confiance mutuelle quant à la volonté des uns et des autres de réellement mettre en œuvre des mesures à cette fin.
204
L’accord de Paris a d’une manière particulière érigé la confiance mutuelle en tant que condition pour son efficacité. Les États parties sont convenus, à l’article 2, paragraphe 1, a) de l’accord de Paris, d’un objectif en matière de lutte contre le réchauffement planétaire (contenir ce dernier nettement en dessous de 2 °C et si possible en dessous de 1,5 °C), sans toutefois s’être engagés à des mesures concrètes en matière de réduction des émissions. L’accord de Paris met ainsi en place un mécanisme basé sur une démarche volontaire et selon lequel les États parties déterminent eux-mêmes leurs mesures pour atteindre l’objectif fixé quant à la température, tout en étant obligé de rendre ces mesures transparentes. Les dispositions relatives à cette transparence ont pour but d’assurer que chaque État puisse miser avec confiance et assurance sur la présomption que les autres États agiront en conformité avec l’objectif convenu ([…]). Le fait de gagner et de préserver la confiance en la volonté des États parties d’honorer leurs engagements est dès lors considéré comme étant la clé de l’efficacité de cet accord international pour la protection du climat. Cet accord repose justement sur le pari que les différents États apporteront chacun leur contribution. Cette observation est importante du point de vue du droit constitutionnel, parce que pour l’heure, la voie choisie par l’article 20a LF pour une protection mondiale efficace du climat passe essentiellement par cet accord.
205
(3) L’objection selon laquelle l’article 20a LF ne serait pas susceptible de constituer une norme de référence pour l’examen de la constitutionnalité d’objectifs concrets de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais que ces objectifs seraient entièrement à la discrétion du législateur, ne peut être opposée à un contrôle de constitutionnalité du § 3, alinéa 1, 2nde phase KSG et de l’article 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2. L’article 20a LF contient une norme juridique susceptible d’être invoquée en justice. Cette observation vaut également en ce qui concerne l’obligation découlant de cet article de protéger le climat. Il est certes exact que la teneur concrète de l’article 20a LF nécessite une concrétisation supplémentaire. Le libellé de cette disposition (« l’État protège … les fondements naturels de la vie … par l’exercice du pouvoir législatif … ») indique qu’une importance particulière revient au pouvoir législatif, lequel dispose d’une prérogative de concrétiser cette norme ([…]). Cela étant, l’article 20a LF ne formule pas un quelconque programme sans effet contraignant, mais constitue une norme juridique qui lie le législateur (cf. Recueil BVerfGE 118, 79 <110> – affaire Échange de droits d’émission ; [renvois à la doctrine allemande]).
206
Il ne saurait être renoncé à cet effet obligatoire en laissant au législateur seul le soin de concrétiser le devoir de protection découlant de l’article 20a LF ([…]). En effet, bien que l’article 20a LF prévoie l’implication du pouvoir législatif dans la concrétisation de son contenu matériel, il vise en même temps à encadrer le processus politique. La Constitution impose ici une limite au pouvoir de décision politique d’adopter des mesures de protection de l’environnement ou de s’abstenir de le faire. L’article 20a LF fait de la protection de l’environnement une question d’ordre constitutionnel, étant donné que le processus politique démocratique est organisé selon des modalités reposant sur des échéances plus brèves, à savoir les cycles électoraux ; de ce fait, il y a un danger structurel à ce que le processus politique réagisse difficilement à des intérêts écologiques à poursuivre sur le long terme, ainsi à ce que les générations futures qui seront particulièrement affectées par ces matières ne disposent pas, par définition, d’une voix politique propre dans le cadre du processus de formation de la volonté politique. Tout en tenant compte de ces conditions d’ordre institutionnel, l’article 20a LF impose des obligations matérielles en matière de prise de décision démocratique ([…]). Cet effet, que recherche l’article 20a LF, de lier le processus politique risquerait d’être perdu si le contenu matériel de l’article 20a LF devait être décidé intégralement dans le cadre du processus politique quotidien, lequel repose globalement sur des échéances plus brèves et des intérêts susceptibles d’être exprimés plus directement.
207
Cela étant, l’article 20a LF laisse au pouvoir législatif une marge d’action considérable. En principe, il n’appartient pas non plus aux juridictions de déduire de la formulation ouverte de l’article 20a LF des limites concrètement chiffrables en ce qui concerne le réchauffement planétaire et les volumes d’émission ou les exigences en matière de réduction qui y vont de pair. Néanmoins, l’article 20a LF ne saurait pas non plus rester lettre morte en ce qui concerne l’obligation de protéger le climat. À cet égard, il appartient dès lors à la Cour constitutionnelle fédérale de veiller au respect des limites tracées par l’article 20a LF ([…]). Il n’existe aucun indice qui permettrait d’affirmer que l’article 20a LF différerait de toutes les autres dispositions de la Loi fondamentale et aurait un contenu dont l’interprétation et l’application ne seraient pas susceptibles de faire l’objet d’un contrôle judiciaire.
208
(4) Le législateur a exercé son devoir et sa prérogative de concrétiser l’objectif de protéger le climat formulé par l’article 20a LF, et il a adopté, au § 1, 3e phrase KSG dans sa rédaction actuelle, l’exigence de contenir l’augmentation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de préférence en dessous de 1,5 °C. À l’heure actuelle, il n’a pas dépassé, avec cette disposition, la marge d’action législative offerte par l’article 20a LF. La détermination du seuil de température susmentionné constitue une mesure de concrétisation qui doit également servir de fondement pour l’examen de constitutionnalité opéré par la Cour constitutionnelle fédérale.
209
(a) Le seuil de température déterminé au § 1, 3e phrase KSG doit être considéré comme mesure de concrétisation de l’objectif constitutionnel de protéger le climat. Le § 1 KSG définit l’objet de la loi sur le climat et dispose (soulignement ajouté à la 3e phrase) :
L’objet de la présente loi est d’assurer la réalisation des objectifs nationaux en matière de protection du climat et le respect des objectifs européens, afin d’assurer une protection contre les effets du changement climatique planétaire. L’impact écologique, social et économique de la présente loi est pris en compte. Le fondement de la présente loi est d’une part l’engagement pris dans l’accord de Paris conclu en vertu de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, selon lequel l’augmentation de la température moyenne de la planète doit être contenue nettement en dessous de 2 °C et si possible en dessous de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, afin de limiter autant que possible les effets du changement climatique planétaire, et d’autre part l’engagement de la République fédérale d’Allemagne exprimé lors du Sommet des Nations Unies sur le climat le 23 septembre 2019 à New York de viser d’ici 2050 la neutralité en matière de gaz à effet de serre en tant qu’objectif à long terme.
210
Le § 1, 3e phrase KSG qualifie l’engagement pris en vertu de l’accord de Paris comme fondement. La loi elle-même entend donc assurer que le seuil de température mentionné soit bien perçu comme objectif fondamental vers lequel sont orientés les efforts de protection du climat. Aucune autre disposition du régime du droit allemand de protection du climat ne contient de définition semblable et de même nature fondamentale. À cet égard, le seuil de température concrètement visé ne constitue pas uniquement l’expression de la volonté politique actuelle, mais également une concrétisation de l’objectif de protéger le climat exigé par le droit constitutionnel. Cette observation est étayée par le fait que l’objectif de protection du climat visé au § 1, 3e phrase KSG est le seuil de température convenu à l’échelon international à l’article 2, paragraphe 1, a) de l’accord de Paris et que le législateur a délibérément et explicitement pris comme fondement pour la loi qu’il a adoptée. Ce choix a une portée constitutionnelle qui va au-delà de l’approbation que le législateur allemand a exprimée dans la loi approuvant l’accord de Paris. Le fait que l’objectif visé dans l’accord de Paris est expressément désigné comme fondement de la loi allemande sur le climat est dû à un lien particulier avec l’obligation découlant de l’article 20a LF de protéger le climat. Compte tenu de la dimension réellement mondiale du changement climatique, l’État n'est en définitive en mesure de réaliser que par la coopération internationale l’objectif de l’article 20a LF d’arrêter le changement climatique. Il a agi dans ce sens lorsqu’il a adhéré à l’accord de Paris, et dans le cadre de ce dernier, il remplit ses devoirs supplémentaires de protection du climat tirés de l’article 20a LF (cf. supra, au point no 201). Lorsqu’il a statué que le seuil de température déterminant était celui prévu à l’article 2, paragraphe 1, a) de l’accord de Paris, le législateur a déterminé l’orientation de principe du droit national relatif à la protection du climat d’une manière qui permet justement à l’État allemand d’accomplir de manière efficace, dans un cadre international et au moyen d’efforts propres, son devoir tiré du droit constitutionnel de protéger le climat.
211
(b) Le législateur n’est cependant pas totalement libre lorsqu’il concrétise l’obligation constitutionnelle de l’article 20a LF. En retenant le seuil de température visé dans l’accord de Paris, puis encore une fois dans la loi sur le climat, il a, pour l’instant, respecté les limites de la marge dont il dispose pour cette concrétisation. L’objectif fixé en matière de protection du climat est couvert par la prérogative reconnue par l’article 20a LF au législateur pour concrétiser cet objectif. L’accord de Paris a été adopté en décembre 2015 sur le fondement des données scientifiques qui avaient été rassemblées en préparation de la conférence de Paris sur le climat (CCNUCC, Rapport sur le dialogue structuré entre experts sur l’examen de la période 2013–2015, Report on the structured expert dialogue 2013-2015 review, 2015, p. 18, message 5 p. 31, point no 108). Certes, selon les requérants, il reste impératif de limiter le réchauffement planétaire à un maximum de 1,5 °C. Cela correspond à une position répandue et repose notamment sur le Rapport spécial du GIEC de 2018 relatif aux conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C. Ce qui suscite des préoccupations est la conclusion contenue dans ce rapport que les dangers que le changement climatique provoque pour les systèmes naturels et humains, en particulier la probabilité que soient franchis des points de basculement, seront plus élevés en cas de réchauffement de 2 °C qu’en cas de réchauffement de 1,5 °C (cf. supra, au point no 161). Compte tenu de l’incertitude majeure documentée dans la série de fourchettes et d’impondérables indiquée par le GIEC, une marge de décision considérable demeure actuellement au pouvoir législatif – à l’instar de la situation concernant les devoirs de protection des droits fondamentaux (cf. supra, au point no 162 sq.) – afin d’évaluer les menaces et les risques tout en assumant la responsabilité politique d’une telle évaluation (cf. Recueil BVerfGE 128, 1 <39>). Il n’est, du moins en l’état actuel, pas possible de constater qu’en optant pour l’objectif défini par l’accord de Paris, le législateur aurait méconnu cette marge de décision.
212
Des nouvelles données scientifiques validées relatives à l’évolution du réchauffement planétaire anthropique ou à ses conséquences et à son caractère maîtrisable, pourraient toutefois rendre nécessaire, tout en tenant compte de la marge de décision du législateur, que soit formulé un objectif différent dans le cadre de l’article 20a LF. Ceci est susceptible de donner lieu à un contrôle de constitutionnalité. L’article 20a LF impose au législateur un devoir permanent d’adapter le droit de l’environnement aux nouvelles évolutions et révélations de la science (cf. Recueil BVerfGE 49, 89 <130, 132> quant à l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF). Si l’objectif en matière d’augmentation de la température formulé à l’article 2, paragraphe 1, a) de l’accord de Paris devait s’avérer insuffisant pour adéquatement protéger le climat, il faudrait que soit actualisée la mise en œuvre de l’obligation découlant de l’article 20a LF de rechercher à l’échelon international une solution du problème du changement climatique ; en particulier, il conviendrait alors de rechercher des accords définissant des exigences plus strictes. Par contre, une réorientation en fonction d’objectifs revus à la baisse en matière de protection du climat nécessiterait une justification au regard de l’article 20a LF, étant donné qu’elle constituerait écologiquement un pas en arrière ([renvois à la doctrine allemande] ; cf. également l’article 4, paragraphe 3 de l’accord de Paris et le § 3, alinéa 3, 2nde phrase KSG), à moins que des résultats scientifiques récents et confirmés concluent que le réchauffement planétaire est susceptible d’engendrer moins de dangers que ceux qu’il faut craindre à présent.
213
(c) En tant que concrétisation constitutionnellement nécessaire et fondamentale de l’article 20a LF, le seuil de température servant de base pour la protection du climat en vertu du § 1, 3e phrase KSG assume lui aussi une fonction d’orientation de nature constitutionnelle. Il constitue également la concrétisation déterminante pour un contrôle de constitutionnalité opéré à l’aune de l’objectif découlant de l’article 20a LF de protéger le climat (cf., au sujet de la concrétisation par la loi de l’article 20a LF en matière de protection des animaux, Recueil BVerfGE 127, 293 <328 sq.>). Un examen des dispositions contestées à l’aune de ces critères ne peut être écarté au motif que le législateur aurait procédé, justement par ces dispositions, à une redéfinition de l’objectif fondamental en matière de protection du climat. Il lui serait certes loisible de modifier l’objectif déterminant en la matière et de procéder à une nouvelle concrétisation de l’obligation constitutionnelle de protéger le climat. Cependant, toute nouvelle mesure qui serait incompatible avec les dispositions concrétisant jusqu’alors l’obligation constitutionnelle précitée ne doit pas être automatiquement considérée du seul fait de cette incompatibilité comme constituant une actualisation du régime mis en place par le législateur pour concrétiser le devoir de protection formulé par la Constitution. Si le législateur veut procéder à une refonte profonde du régime juridique de la protection du climat, il faut que cette volonté se manifeste clairement et soit donc susceptible de donner lieu à des débats politiques parmi le grand public. L’idée sur laquelle repose la mention explicite du pouvoir législatif à l’article 20a LF et la reconnaissance au législateur d’une prérogative de concrétiser l’objectif de protéger le climat est justement le fait que l’importance particulière des biens protégés par l’article 20a LF et les intérêts qui entrent éventuellement en conflit avec celle-ci doivent être conciliés de manière démocratiquement responsable, et que le cadre adéquat pour une telle conciliation est la législation ([…]). La procédure législative confère la légitimité requise à l’équilibrage nécessaire des intérêts en cause. La procédure parlementaire, de par sa fonction impliquant le public et du fait que les délibérations sont en principe publiques, permet en raison de sa transparence et de l’implication de l’opposition politique que les décisions qui y sont prises fassent l’objet d’un large débat public et que soient ainsi posées les conditions pour un contrôle de la législation par les citoyens. Cette procédure permet au grand public, également grâce à la couverture par les médias, de se forger une opinion et de la défendre (cf. Recueil BVerfGE 143, 246 <344 point no 274> et les références qui y sont citées ; 150, 1 <96 sq. point no 192> et les références qui y sont citées). Toutefois, lorsque ce sont justement cette transparence et cette fonction de la procédure législative de faire participer le grand public qui sont les raisons pour lesquelles l’article 20a LF confère une signification particulière à la concrétisation par le pouvoir législatif, une réorientation de l’objectif fondamental du droit régissant la protection du climat doit alors, elle aussi, avoir lieu d’une telle manière ouverte au public et transparente. Tant que le législateur ne redéfinit pas de manière apparente et selon une procédure transparente l’objectif élémentaire en matière de protection du climat, la concrétisation de l’objectif constitutionnel à laquelle il a lui-même procédé peut lui être opposée.
214
bb) Appréciés à l’aune de l’objectif de contenir le réchauffement planétaire nettement en dessous de 2 °C et si possible en dessous de 1,5 °C, le § 3, alinéa 1, 2ndephrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 ne portent à présent pas atteinte à l’obligation constitutionnelle découlant de l’article 20a LF de protéger le climat.
215
(1) La conformité à la Constitution des volumes d’émission prévus par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 ne peut toutefois pas être contrôlée directement sur le fondement de l’objectif en matière de température déterminant du point de vue constitutionnel. Afin de pouvoir utiliser cet objectif en tant que critère pour apprécier la limitation des émissions de CO2, l’exigence relative à la température doit être « traduite » en une exigence en matière d’émissions. L’approche suivie par le GIEC et consistant à identifier un budget de CO2 constitue une telle traduction, en dépit des difficultés qu’il y a pour parvenir à un calcul exact (a). La détermination plus précise, sur ce fondement, d’un budget résiduel national de CO2 (b) va toutefois de pair avec de sérieuses incertitudes et exige qu’il soit procédé à des appréciations. Le législateur dispose donc de marges de décision qu’il ne peut toutefois utiliser à sa libre discrétion politique. Lorsque des données solides indiquent que le seuil de température déterminant du point de vue constitutionnel pourrait être franchi, ces données doivent être prises en compte – bien que pas nécessairement au chiffre près (c).
216
(a) Le seuil de température d’une augmentation nettement en dessous de 2 °C et de préférence en dessous de 1,5 °C peut en principe être converti en un volume résiduel mondial de CO2 susceptible d’être ensuite réparti entre les différents États. Comme il a déjà été relevé (cf. supra, au point no 32), il existe une corrélation plus ou moins linéaire entre le volume total de toutes les émissions anthropiques de CO2 jamais produites et l’augmentation de la température mondiale, une corrélation qui permet une telle conversion. À cette fin, il est nécessaire, dans un premier temps, de calculer le volume mondial d’émissions subsistant, si le seuil de température doit être respecté – le résultat de ce calcul constitue alors le budget résiduel mondial concret de CO2. L’étape suivante consiste à déterminer quelle est la part qui en revient à l’Allemagne – cette part constitue alors le budget résiduel national de CO2. Le GIEC a calculé des budgets résiduels mondiaux concrets en fonction de différents seuils de température et de différentes probabilités de survenance ; sur ce fondement, le Conseil d’experts a calculé pour l’Allemagne un budget résiduel national concret. Sur le fondement de ces calculs, la compatibilité des volumes d’émission licites en vertu du § 3, alinéa 1, 2nde phrase et du § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG avec le seuil de température visé peut en principe être contrôlée.
217-218
[…]
219
(b) Le GIEC a, en fonction des différents seuils de température et des différentes probabilités de respecter ces seuils, établi des calculs permettant de chiffrer le volume du budget résiduel mondial de CO2 correspondant. Ainsi a-t-il estimé que pour que le réchauffement planétaire puisse être contenu avec une probabilité de 67 % en dessous de 1,5 °C, il resterait un budget mondial de CO2 de 420 gigatonnes à compter de l’année 2018, un budget qui passerait à 1 170 gigatonnes à partir de 2018, si le seuil de température visé était de 2 °C (GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C <Special Report, Global Warming of 1.5 °C>, 2018, chapitre 2, p. 108, tableau 2.2). Sur le fondement des chiffres établis par le GIEC, le Conseil d’experts a calculé que pour une probabilité de 67 % de limiter l’augmentation de la température moyenne de la Terre à 1,75 °C, il restait, à compter de 2020, un budget national s’élevant à 6,7 gigatonnes (Conseil d’experts, Pour une politique environnementale résolue en Allemagne et en Europe, Für eine entschlossene Umweltpolitik in Deutschland und Europa, Rapport d’expertise environnementale 2020, p. 52 et p. 88, point no 111).
220
(c) La détermination du budget effectuée par le Conseil d’experts repose sur des chiffres plausibles ainsi que sur des opérations de calcul cohérentes (à ce sujet, cf. les décisions de principe dans Recueil BVerfGE 125, 175 <226> ; 137, 34 <75 point no 82), et utilise comme fondement des présomptions raisonnables du GIEC qui ont été établies sur la base d’une procédure garantissant la qualité des données. Toutefois, cette détermination comporte des incertitudes significatives en ce qui concerne le volume du budget résiduel mondial (aa) et national (bb) et ne permet dès lors pas d’en tirer des conclusions juridiques chiffrées précisément. Ces incertitudes vont dans les deux sens ; c’est-à-dire que dans les faits, le budget résiduel pourrait également avoir un volume plus réduit que celui présumé par le Conseil d’experts (cc). S’il existe des indices, reposant sur les estimations dans le rapport spécial du GIEC, que des dommages irréversibles sont susceptibles de se produire, ces indices doivent être pris en considération, même s’ils ne constituent pas de conclusions scientifiques prouvées (dd).
221
(aa) Le Conseil d’experts fonde ses calculs d’abord sur les données fournies par le GIEC et relatives au budget résiduel mondial de CO2. Ces données sont en principe solides. Les estimations avancées par le GIEC sont des conclusions concrètes au terme d’une procédure destinée à en assurer la qualité. Le GIEC a formulé son estimation après une analyse détaillée effectuée par des scientifiques de l’état actuel de la recherche, et il a également divulgué les incertitudes qui subsistaient (cf. supra, au point no 16 sq.).
222
Le GIEC lui-même souligne qu’il existe des incertitudes non négligeables. Il n’est certes pas contesté que le volume total des émissions anthropiques du gaz à effet de serre le plus important, le CO2, est en principe susceptible d’être converti en un chiffre exprimant l’augmentation de la température mondiale, et vice versa. Toutefois, compte tenu de la complexité du système climatique, des incertitudes affectent l’évaluation de l’importance du lien entre émissions cumulées et réchauffement planétaire. Ces incertitudes concernent la réaction du système climatique aux émissions de gaz à effet de serre et, pour le calcul du budget résiduel mondial, elles sont chiffrées à 400 gigatonnes de CO2, étant entendu que cet écart peut exister dans les deux sens ; des incertitudes relatives au degré réel du réchauffement dans les temps historiques sont susceptibles de conduire à un écart, dans les deux sens, de 250 gigatonnes de CO2 ; une libération supplémentaire potentielle de CO2 du fait d’un dégel futur du pergélisol et de gaz de méthane stockés dans des zones humides pourrait réduire ce budget d’un maximum de 100 gigatonnes supplémentaires ; en outre, l’ampleur de la réduction future de gaz à effet de serre autres que le CO2 serait susceptible d’avoir un impact, dans un sens comme dans l’autre, à hauteur de 250 gigatonnes sur le budget résiduel de CO2 ; de même, il n’est pas clair dans quelle mesure il pourrait être possible à l’avenir de retirer des émissions de CO2 de l’atmosphère (« émissions négatives ») (à tous ces sujets, cf. GIEC, Rapport spécial, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, 2018, p. 12 sq. ; cf. également Conseil d’experts, Pour une politique environnementale résolue en Allemagne et en Europe, Für eine entschlossene Umweltpolitik in Deutschland und Europa, Rapport d’expertise environnementale 2020, p. 44 sq. point no 16 sqq.). Lorsque ces écarts estimés possibles sont mis en rapport avec le fait que le GIEC, en se basant sur une probabilité de survenance de l’objectif visé de 67 %, évalue le budget résiduel mondial de CO2 à compter de l’année 2018 à 420 gigatonnes si l’objectif poursuivi est un réchauffement planétaire jusqu’à 1,5 °C et à 1 170 gigatonnes à compter de l’année 2018 si l’objectif visé est un réchauffement planétaire jusqu’à 2 °C, il apparaît alors que ces incertitudes sont considérables.
223
Des évaluations plus précises mais aussi solides que celles utilisées par le GIEC n’existent toutefois pas. Il n’existe pas non plus de raison évidente de mettre en doute, au-delà des incertitudes susmentionnées, l’appréciation avancée par le GIEC. Bien que les requérants croient pouvoir déceler des indices que l’évaluation avancée par le GIEC est trop généreuse, ils ne contestent pas que cette évaluation rende fidèlement compte de l’état actuel des connaissances. À cet égard, ladite évaluation n’est pas non plus remise en cause par le gouvernement fédéral. Il estime toutefois que les incertitudes susmentionnées sont trop importantes pour que des conclusions valables puissent être tirées de cette évaluation.
224
(bb) Les déductions supplémentaires effectuées par le Conseil d’experts en ce qui concerne le budget résiduel national de CO2 reposent sur des hypothèses plausibles et des opérations de calcul cohérentes. Ces dernières comportent cependant des appréciations, ainsi que des incertitudes qui leur sont propres.
225
Ainsi, plusieurs critères de répartition sont-ils susceptibles de servir de fondement pour le calcul de la part allemande du budget résiduel mondial de CO2. Pour ses recommandations, le Conseil d’experts a choisi de se fonder sur le critère des émissions licites par habitant, c’est-à-dire pour une approche consistant à calculer cette répartition sur la base du niveau de population actuel, et il a dès lors pris pour base de ses calculs la part de la population de l’Allemagne dans la population totale mondiale, à savoir 1,1 % en 2016 (Conseil d’experts, Pour une politique environnementale résolue en Allemagne et en Europe, Für eine entschlossene Umweltpolitik in Deutschland und Europa, Rapport d’expertise environnementale 2020, p. 51). D’autres clés de répartition sont également envisageables (cf. Conseil d’experts, op. cit., p. 48 ; Winter, in : ZUR 2019, p. 259 <263 sq.>). Cela étant, il n’est pas possible de déduire de l’article 20a LF une clé de répartition précise. En particulier, l’article 20a LF ne détermine pas quelle part des charges l’Allemagne devrait assumer pour des raisons d’équité. Cela ne signifie toutefois pas que la Constitution permettrait de déterminer discrétionnairement la contribution que l’Allemagne doit apporter. L’objection selon laquelle il ne serait pas possible d’identifier la part de l’Allemagne tant en matière de réduction des émissions qu’en ce qui concerne le budget mondial de CO2 ne saurait être tout bonnement opposée à l’affirmation d’une obligation constitutionnelle concrète de réduire les émissions de CO2. Du fait que l’article 20a LF impose à l’État de mettre en œuvre au moyen d’une coopération internationale l’obligation de protéger le climat, la contribution allemande à cette protection doit être déterminée d’une manière promouvant la confiance mutuelle quant à la volonté des uns et des autres de réellement mettre en œuvre des mesures à cette fin, et non de manière qui offre des incitations à contourner cette action commune (cf. supra, au point no 203). Des repères pour une répartition des charges tirés du droit international public résultent par exemple de l’article 2, paragraphe 2 et de l’article 4, paragraphe 4 de l’accord de Paris (au sujet du principe des responsabilités communes, mais différenciées, cf. également l’article 3, nos 1 et 4 de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992 <Journal officiel fédéral 1993 II p. 1784, Recueil des Traités des Nations Unies vol. 1771 p. 107, entrée en vigueur le 21 mai 1994>, ainsi que le considérant no 3 de l’accord de Paris).
226
En outre, l’accord de Paris admet la possibilité de quasiment élargir le budget résiduel national au moyen d’un transfert, de la part d’un autre État partie, de résultats de réduction des émissions qui dépassent ce qui est exigé (article 6, paragraphes 2 et 4 de l’accord de Paris). Cela dit, un système fiable d’imputation relatif aux résultats de réduction transférables internationalement n’a pour l’heure pas encore pu être mis en place (cf. document du Bundestag no 19/15906, p. 1 sqq.). Il n’est actuellement pas possible de prédire si un tel système de transfert et d’imputation permettrait dans l’avenir d’élargir significativement le budget résiduel national. Eu égard aux efforts très considérables que la communauté internationale dans son ensemble devra encore fournir en matière de réduction des émissions afin de réaliser l’objectif relatif à la température formulé par l’accord de Paris (à cet égard, cf. CCNUCC, Contributions déterminées au niveau national, Rapport de synthèse du secrétariat, Nationally determined contributions under the Paris Agreement, Synthesis report by the secretariat, 2021, p. 5 point no 13), la concurrence pour des résultats de réduction qui dépassent ce qui est exigé et qui sont transférables sera vraisemblablement vive.
227
Un élargissement du budget résiduel national au moyen de technologies dites « d’émissions négatives » constitue également une option (à cet égard, cf. par exemple la loi du 17 avril 2012 relative au stockage de dioxyde de carbone – Kohlendioxid-Speicherungsgesetz, Journal officiel fédéral I page 1726). À présent, il est impossible de répondre à la question de savoir dans quelle mesure de telles technologies pourront, au-delà d’une utilisation dans des cas spécifiques, être employées dans une large mesure, compte tenu des objections d’ordre écologique, technique, économique, politique et social (cf. supra, au point no 33) – et ce, nonobstant les questions d’ordre constitutionnel susceptibles d’être soulevées à ce sujet.
228
(cc) Le fait que le calcul avancé par le Conseil d’experts comporte des évaluations et des incertitudes ne permet pas pour autant de conclure que subsisteront réellement des possibilités étendues de produire des émissions. Les incertitudes lors de la détermination du budget résiduel mondial et de la répartition de ce dernier entre les États vont dans les deux sens, c’est-à-dire qu’elles pourraient tout aussi bien avoir conduit à des estimations trop généreuses. Dans l’ensemble, il n’est donc effectivement pas exclu que l’Allemagne dispose en fait d’un budget résiduel plus important que prévu. Inversement, il semble tout aussi probable que le budget restant soit encore plus réduit que prévu.
229
(dd) Bien que le calcul concret du budget résiduel par le Conseil d’experts contienne des incertitudes considérables, il doit être pris en compte lors de la détermination par la loi des exigences en matière de réduction des émissions. En raison du fait que subsistent des incertitudes lorsqu’il s’agit d’exprimer en chiffres précis le lien entre les émissions de CO2 et le réchauffement planétaire, l’article 20a LF laisse certes des marges d’appréciation au législateur (cf. Recueil BVerfGE 128, 1<39> ; en matière des droits fondamentaux, cf. également Recueil BVerfGE 49, 89 <131> ; 83, 130 <141 sq.>). Le volume d’émission qui reste et permet de respecter le seuil de température visé ne peut à présent être déterminé d’une manière si précise que le volume du budget indiqué par le Conseil d’experts permettrait de constituer un critère précis au chiffre près pour le contrôle de constitutionnalité. Toutefois, le législateur ne saurait exercer à sa libre discrétion politique la liberté que lui laisse la marge d’appréciation dont il dispose. Dans les cas où demeurent des incertitudes scientifiques quant aux liens de causalité pertinents en matière environnementale, l’article 20a LF impose des limites aux choix du législateur – en particulier lorsque ces derniers engendrent des conséquences irréversibles – et lui enjoint un devoir particulier d’agir avec soin et diligence (cf. également Recueil BVerfGE 128, 1<37> ; [renvois à la doctrine allemande]). C’est l’expression de ce devoir particulier que, s’il existe déjà des indications fiables relatives à la possibilité d’une survenance de dommages environnementaux graves ou irréversibles, ces indications soient, selon le degré de leur fiabilité respective, prises en considération par le législateur. De même, l’article 3, no 3, 2e phrase de la Convention-cadre sur les changements climatiques dispose que l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour reporter l’adoption de mesures de précaution lorsqu’il existe un risque de perturbations « graves ou irréversibles ». En ce qui concerne le risque d’un changement climatique irréversible, le droit doit donc tenir compte des estimations du GIEC relatives au volume du budget résiduel mondial de CO2 établies sur la base d’une procédure garantissant la qualité des données, et des conséquences pour les volumes nationaux restant en matière d’émission, lorsque ces estimations indiquent que le seuil de température déterminant du point de vue constitutionnel pourrait être dépassé.
230
(2) Le § 3, alinéa 1, 2nde phrase et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 sont encore conformes à ces exigences. Compte tenu de la marge dont dispose le législateur, il ne peut à présent être conclu après un contrôle de constitutionnalité que ces dispositions auraient violé l’obligation constitutionnelle tirée de l’article 20a LF de protéger le climat.
231
(a) Il n’est cependant pas certain que les dispositions en question permettent de rester dans les limites du volume restant du budget résiduel de CO2. En supposant que le budget résiduel national concret de CO2 s’élève à 6,7 gigatonnes à compter de 2020, c’est-à-dire en se basant sur le chiffre calculé par le Conseil d’experts, s’il s’agit de réaliser avec une probabilité de survenance de 67 % l’objectif de limiter l’augmentation du réchauffement de la température moyenne de la Terre à 1,75 °C (Conseil d’experts, Pour une politique environnementale résolue en Allemagne et en Europe, Für eine entschlossene Umweltpolitik in Deutschland und Europa, Rapport d’expertise environnementale 2020, p. 52 et p. 88, point no 111), les volumes d’émission fixés par le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 conduiraient à épuiser une grande partie du budget résiduel jusqu’en 2030.
232
Les volumes d’émission indiqués à l’annexe no 2 au § 4 KSG et répartis par années et secteurs d’activité (et comprenant une certaine incertitude du fait que les volumes des émissions du secteur de l’énergie ne sont pas exhaustivement fixés) équivalent au total à environ 7 gigatonnes. Ce chiffre se rapporte toutefois aux « équivalents CO2 », ce qui signifie qu’il englobe non seulement les émissions de CO2, mais également celles d’autres gaz à effet de serre (cf. § 2, no 2 KSG), lesquels, en raison de leurs caractéristiques différentes, notamment leur faible durée de persistance, ne sont pas pris en compte lors du calcul du budget résiduel par le GIEC ainsi que par le Conseil d’experts. En Allemagne, la part des émissions de CO2 aux émissions de gaz à effet de serre s’élève actuellement à environ 88 % (Conseil d’experts, op. cit., p. 40). Par conséquent, les émissions de gaz à effet de serre mentionnées à l’annexe no 2 précitée et chiffrées à 7 gigatonnes d’équivalents CO2, comprendront près de 6 gigatonnes d’émissions de CO2.
233
Après 2030, il resterait alors moins d’une gigatonne des 6,7 gigatonnes calculées par le Conseil d’experts et ce, alors que l’annexe no 2 au § 4 KSG n’englobe même pas les émissions supplémentaires de CO2 dues à l’affectation des sols, aux changements dans l’affectation des sols et à l’exploitation forestière, ni les émissions imputables à l’Allemagne dues au transport aérien et maritime international (cf. document du Bundestag no 19/14337, p. 26 sq.), lesquelles réduisent encore plus le budget disponible.
234
Afin de rester à l’intérieur des limites du budget, il faudrait par conséquent réaliser la neutralité climatique peu de temps après le cap de l’année 2030. Toutefois, une telle perspective n’est guère réaliste. Il est vrai que la trajectoire de réduction des émissions établie par la loi sur le climat prévoit que le niveau des émissions atteint en 2030 doit avoir été réduit de 55 % par rapport au niveau atteint en 1990, (§ 3, alinéa 1 2nde phrase KSG). Cependant, le niveau des émissions sera alors encore loin d’être climatiquement neutre. Il est dès lors réaliste de considérer que déjà pour des raisons techniques, le passage à la neutralité climatique, en dehors de toutes considérations relatives aux obstacles découlant des libertés constitutionnelles, nécessitera encore quelque temps. Un budget résiduel de 6,7 gigatonnes de CO2 serait pendant ce temps vraisemblablement dépassé. Si, en revanche, la détermination du budget résiduel national était effectuée sur le fondement d’un objectif plus généreux en matière d’augmentation de la température, à savoir une augmentation entre 1,75 °C et 2 °C, il n’apparaîtrait alors pas impossible de rester dans les limites de ce budget tel qu’il a été calculé par le Conseil d’experts. Dans ce contexte, un budget restant après 2030 suffira pour une période d’autant plus longue que les volumes annuels d’émission seront fortement et continûment réduits postérieurement à 2030.
235
Toutefois, en fondant son calcul du budget résiduel national sur l’objectif de respecter un seuil de 1,75 °C en matière d’augmentation de la température, le Conseil d’experts n’a pas été excessivement strict. L’exigence découlant du droit dispose que l’augmentation de la température doit être contenue en dessous de 2 °C et si possible en dessous de 1,5 °C. Un seuil fixé à 1,75 °C se situe certes encore dans les limites de ce qui est juridiquement admis, mais ne réalise pas l’effort exigé de limiter cette augmentation à 1,5 °C (cf. également l’article 2, paragraphe 1, a) de l’accord de Paris). Cette observation s’applique a fortiori à tout seuil encore plus élevé entre 1,75 °C et 2 °C.
236
(b) En fin de compte, il ne peut à présent être constaté que le législateur aurait excédé sa marge constitutionnelle d’action. Fait obstacle à une constatation par la Cour constitutionnelle fédérale d’un dépassement du budget de CO2 – auquel la Constitution impose des limites en vertu de l’article 20a LF – par les volumes d’émission fixés jusqu’en 2030 par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 l’incertitude qui porte sur le montant du budget résiduel mondial de CO2 et qui a un impact sur le calcul du budget résiduel national et vient s’ajouter aux incertitudes propres à ce dernier. Dans les conditions déterminées à l’annexe no 2 précitée, le budget résiduel national calculé à 6,7 gigatonnes par le Conseil d’experts sur le fondement des estimations du GIEC et correspondant au respect d’un seuil de température fixé à 1,75 °C serait certes pratiquement complètement épuisé jusqu’en 2030 (cf. supra, au point no 231 sqq.). Toutefois, les incertitudes quant aux possibilités restantes, au niveau mondial comme au niveau national, de produire des émissions tout en respectant le seuil de température visé demeurent pour l’heure trop importantes pour permettre au volume du budget calculé par le Conseil d’experts de constituer un fondement précis au chiffre près pour un contrôle de constitutionnalité.
237
Certes, les estimations du GIEC relatives au montant du budget résiduel mondial de CO2 doivent malgré tout être prises en compte lorsqu’elles indiquent qu’il existe un risque que le seuil de température déterminant du point de vue constitutionnel puisse être dépassé (cf. supra, au point no 229). Cela étant, une violation par le législateur de ce devoir d’agir avec soin et diligence lorsque ce dernier a adopté le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 ne peut actuellement être constatée. Les volumes d’émission fixés par l’annexe no 2 précitée conduiraient, sans toutefois a priori à le dépasser, à épuiser en grande partie jusqu’en 2030 le budget résiduel calculé par le Conseil d’experts sur le fondement des évaluations de la part du GIEC et chiffré à 6,7 gigatonnes en cas d’objectif de respecter un seuil de 1,75 °C en matière d’augmentation de la température. Eu égard aux incertitudes dans le cadre du budget résiduel tel qu’il a été calculé à l’heure actuelle, le manquement ne serait toutefois pas suffisamment sévère pour être censuré dans le cadre d’un contentieux constitutionnel. Compte tenu de la fourchette visée en matière d’augmentation de la température par les textes juridiques pertinents – « nettement en dessous de 2 °C et si possible en dessous de 1,5 °C » –, joue également un rôle important le fait que – contrairement à ce que considèrent les requérants dans les affaires 1 BvR 78/20 et 1 BvR 96/20 – le Conseil d’experts a calculé le budget de 6,7 gigatonnes non pas dans l’objectif de respecter un seuil de température de 2 °C, mais un seuil plus strict fixé à 1,75 °C.
238
cc) Dans certains des recours constitutionnels, les requérants avancent, diverses études scientifiques à l’appui, que les mesures de protection du climat prises actuellement en Allemagne, et dont ils contestent la constitutionnalité, ne suffiraient pas pour réaliser le taux de réduction des émissions fixé par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG à 55 % jusqu’en 2030 par rapport au niveau atteint en 1990 (cf. supra, au point no169 sq.). Toutefois, une méconnaissance du § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG ne constituerait pas à elle seule une violation de la Constitution. Le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG ne constitue pas une concrétisation de l’obligation constitutionnelle de l’article 20a LF de protéger le climat qui serait susceptible de servir de référence pour un contrôle de constitutionnalité, car à la différence du § 1, 3e phrase KSG (cf. supra, au point no209), le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG ne définit pas l’objectif général poursuivi par le législateur en matière de protection du climat. En outre, il n’est pas possible d’exclure d’emblée que les instruments nationaux concrets de protection du climati évolueront encore d’une manière permettant d’atteindre l’objectif de réduction formulé à l’horizon 2030 au moyen d’une compensation, encore durant le délai fixé, de déficits en matière de réduction des émissions. À cet égard, le § 4, alinéa 3,1re phrase KSG prévoit déjà pour les périodes annuelles jusqu’en 2030 une obligation de compenser lorsque les émissions dépassent le volume licite.
239
dd) Le législateur n’a pas méconnu d'exigences supplémentaires en matière de rationalité de la loi. L’article 20a LF ne prévoit pas, du moins en ce qui concerne le cas de figure à trancher en l’espèce, une obligation d’établir les faits et de fournir des motifs séparée et autonome par rapport à ses exigences matérielles.
240-241
[…]
242
ee) Toutefois, le législateur demeure obligé de mettre en œuvre ses efforts dont il a témoigné pour concrétiser l’obligation de l’article 20a LF, à savoir de s’efforcer à contenir si possible l’augmentation de la température mondiale en dessous de 1,5 °C (§ 1, 3e phrase KSG). Il existe des indices qui amènent à penser que le taux de réduction des émissions de 55 % par rapport au niveau atteint en 1990, tel qu’il est prévu par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG pour l’année cible 2030, ne visait pas l’objectif de limiter l’augmentation de la température de la Terre nettement en dessous de 2 °C et si possible en dessous de 1,5 °C. La genèse de ce taux de réduction suggère plutôt qu’il avait initialement été fixé dans le contexte de l’objectif d’un réchauffement contenu à 2 °C (cf. supra, au point no 166). Cette observation est corroborée par le fait qu’avec le volume d’émission total prévu par le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2, il ne serait possible qu’au prix d’efforts très considérables de rester dans les limites du budget résiduel calculé par le Conseil d’experts sur le fondement des estimations du GIEC et visant comme objectif un réchauffement contenu à 1,75 °C, alors qu’il apparaît plus possible de rester dans ces limites si le budget était déterminé en fonction d’un objectif de limiter l’augmentation de la température à 2 °C.
243
b) Le § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 sont contraires à la Constitution dans la mesure où ils donnent lieu à un risque, non suffisamment maîtrisé à présent, de restrictions futures apportées aux droits fondamentaux ; ainsi, ils méconnaissent l’exigence découlant du principe de proportionnalité et selon laquelle il incombe au législateur d’instaurer un régime prévoyant que la réduction des émissions de CO2 imposée par Constitution à l’article 20a LF en vue de réaliser la neutralité climatique doit avoir lieu avec prévoyance et être répartie dans le temps d’une manière qui ménage les droits fondamentaux (au sujet de ces impératifs, cf. supra, au point no 192 sqq.).
244
aa) Les volumes d’émission prévus à l’horizon 2030, fixés par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2, réduisent de manière considérable les possibilités qui, en fonction du seuil de température nettement en dessous de 2 °C et si possible en dessous de 1,5 °C, lequel concrétise l’obligation de l’article 20a LF de protéger le climat, subsisteront pour la production d’émissions après 2030. Eu égard à l’effet anticipé sur les droits fondamentaux, un tel effet n’est susceptible d’être justifié que si sont prises des précautions destinées à assurer un passage à la neutralité climatique plus en douceur et ménageant les libertés et ce, afin d’atténuer les charges en matière de réduction auxquelles les requérants seront confrontés à compter de 2031 et d’endiguer la menace qui en résulte pour les droits fondamentaux (1). Il est nécessaire de prévoir une planification qui incite aux développements (2). Ainsi, des obligations concrètes sont formulées en ce qui concerne l’aménagement ultérieur de la trajectoire de réduction des émissions (3).
245
(1) La réduction des émissions de gaz à effet de serre exigée du fait de l’article 20a LF sera considérable, une fois passé le cap de l’année 2030. Il est vrai qu’il n’est pour l’heure pas possible de déterminer si cette réduction sera si massive qu’elle pourrait par la force des choses engendrer des restrictions aux droits fondamentaux qui, d’un point de vue actuel, seraient intolérables (a). Le risque de contraintes considérables est cependant élevé. Compte tenu d’une part du devoir du législateur d’endiguer le risque de restrictions considérables pour les droits fondamentaux et d’autre part de l’obligation générale de les ménager, les volumes d’émission prévus jusqu’en 2030 par le § 3, alinéa 1, 2nde phrase et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 ne peuvent en fin de compte être conciliés avec les libertés affectées dans l’avenir que si ces dispositions sont accompagnées de mesures de précaution pour assurer une gestion des réductions nécessaires après 2030 qui ménage les droits fondamentaux (b).
246
(a) En vertu de l’exigence constitutionnelle de contenir le réchauffement de la planète nettement en dessous de 2 °C et si possible en dessous de 1,5 °C, le volume des émissions de CO2 qui pourront encore être émises dans l’atmosphère terrestre d’une manière conforme à l’obligation constitutionnelle de protéger le climat est limité. La part revenant à l’Allemagne en ce qui concerne les possibilités restantes de produire des émissions sera, en application du § 3, alinéa 1, 2nde phrase et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2, en tout état de cause et quel que soit le volume exact du budget résiduel de CO2, épuisée dans une mesure non négligeable. Selon les calculs du Conseil d’experts, si l’objectif visé est un seuil de température de 1,75 °C, avec une probabilité de réalisation de cet objectif évaluée à 67 %, il subsistera tout au plus une possibilité minime de produire des émissions après 2030, ce qui, eu égard au niveau des émissions encore à prévoir pour 2031 ne suffirait même pas pour une année supplémentaire (cf. supra, au point no 231 sqq.). Pour réussir à respecter strictement le cadre tracé par l’article 20a LF en matière d’émissions de CO2, il faudrait alors fournir un effort de réduction d’une dimension intolérable du point de vue actuel, d’autant plus que même en 2031, le mode de vie général devrait encore se caractériser par un fort dégagement de CO2 et que le volume annuel d’émission n’aura été réduit que de 55 % par rapport au niveau atteint en 1990 (cf. § 3, alinéa 1, 2nde phrase KSG). Même en tenant compte du fait que l’article 20a LF n’impose pas une primauté absolue de la protection du climat (cf. supra, au point no 198) qui ferait prévaloir en toutes circonstances cet objectif lorsqu’il entre en conflit avec les droits fondamentaux ou d’autres droits et principes protégés par la Constitution, l’obligation constitutionnelle de protéger le climat – amplifiée par les devoirs de protection découlant des droits fondamentaux consacrés par l’article 2, alinéa 2, 1re phrase LF et l’article 14, alinéa 1 LF – requerrait que soient supportées des restrictions considérables de la liberté qui, du point de vue contemporain, seraient difficilement acceptables.
247
(b) Cela étant, il n’est pas possible de déterminer avec précision quelles possibilités de produire des émissions de CO2 tout en respectant l’objectif formulé par l’accord de Paris subsisteront après 2030, étant donné qu’eu égard aux incertitudes et aux nécessités de procéder à des appréciations, le budget résiduel national ne peut être déterminé au chiffre près d’une manière à constituer un fondement pour un contrôle opéré à l’aune du droit constitutionnel (cf. supra, au point no 224). Si le budget résiduel national comportait plusieurs gigatonnes de CO2 de plus par rapport aux calculs du Conseil d’experts, il serait alors envisageable que les dispositions contestées permettent un passage à la neutralité climatique répondant aux exigences de l’article 20a LF et effectué selon des modalités conformes aux droits fondamentaux. Toutefois, le passage à la neutralité climatique devrait alors être initié en temps utile. Que le budget résiduel qui subsiste soit en définitive plus important que celui estimé par le Conseil d’experts est cependant loin d’être certain ; il pourrait tout aussi bien avoir un volume beaucoup plus réduit (cf. supra, au point no 228). Dans ces circonstances, le législateur est tenu, en raison tant de son obligation générale de traiter les droits fondamentaux d’une manière qui les ménage que de son devoir d’endiguer le risque d’atteintes graves aux droits fondamentaux (cf. supra, au point no 194), de prendre des mesures de précaution assurant une gestion des réductions nécessaires après 2030 qui ménage les droits fondamentaux.
248
(2) En pratique, le ménagement de la liberté future requiert que la transition vers la neutralité climatique soit lancée en temps utile. Dans tous les domaines de la vie – par exemple la production de biens, les infrastructures, les services, l’administration publique, la culture, la consommation, et en définitive dans toute activité qui aujourd’hui encore engendre des émissions de CO2 – il faut entamer des développements qui permettront également dans l’avenir un exercice de manière substantielle de la liberté consacrée par les droits fondamentaux, un exercice qui passera alors par des modes d’agir alternatifs sans CO2. Cela étant, l’État ne serait pas en mesure et ne doit pas non plus assurer à lui seul tous les développements techniques et sociaux, ainsi que le développement des infrastructures correspondantes, permettant de remplacer et éviter des processus et des produits dégageant une grande quantité de gaz à effet de serre. Le législateur ne pourrait d’ailleurs guère réussir à prescrire concrètement les développements nécessaires. Le droit constitutionnel lui impose toutefois de créer des conditions et d’offrir des incitations pour que ces développements aient lieu (dans le même sens, en ce qui concerne l’article 20a LF, cf. déjà Recueil BVerfGE 118, 79 <110 sq.> ; […]).
249
À cet égard également, le législateur dispose de marges d’action. La Loi fondamentale ne détermine pas en détail les mesures nécessaires pour créer les conditions et offrir les incitations pour le développement d’alternatives climatiquement neutres. Cela étant, il est d’une importance primordiale à cet égard, et donc aussi pour un ménagement avec prévoyance de l’exercice futur de la liberté, que le législateur trace, y compris pour la période après 2030, un cadre d’orientation permettant d’amorcer à temps les processus nécessaires de développement et de mise en œuvre et qu’en même temps, il pousse aux développements et offre une sécurité en matière de planification. La pression nécessaire en matière de développement naît lorsqu’il devient prévisible et identifiable que des produits, services, infrastructures, institutions administratives ou culturelles, habitudes de consommation et autres structures qui aujourd’hui impliquent des émissions de CO2 devront sous peu être profondément remodelés. Si par exemple le législateur exigeait dès que possible et concrètement qu’à compter d’une certaine date, le secteur des transports ne disposera plus que de faibles volumes annuels d’émission, ce choix pourrait exercer la pression nécessaire et inciter au développement et à la diffusion de technologies alternatives, ainsi qu’au développement des infrastructures nécessaires. S’il devenait très tôt prévisible que les modes de mobilité impliquant des émissions de CO2 deviendront plus chers et moins nombreux, il serait alors possible qu’une telle situation conduise à ce que des décisions et des développements fondamentaux en matière de choix de la profession et de l’emploi ou encore en matière d’aménagement des processus de travail et d’affaires soient pris et initiés à temps et d’une façon qu’ils requièrent d’emblée moins de mobilité. Lorsqu’arriverait l’échéance fixée par le législateur, le budget de CO2 du secteur des transports pourrait alors être réduit sans que cela ne restreigne significativement les libertés.
250
Ne ferait pas nécessairement obstacle à l’effet promouvant les innovations de mesures concrètes de réduction des émissions le fait que le législateur ne peut adopter des mesures que pour l’Allemagne, laquelle serait considérée ne pas posséder la taille nécessaire pour déclencher et établir les développements nécessaires sur des marchés d’envergure internationale. Pour autant que des mesures de réduction concrètes permettent d’offrir une orientation pour le processus de mutation sociale et pour les choix individuels de vie, le cadre national demeure d’importance primordiale. Mais également dans le domaine du développement technologique, un effet sensible des trajectoires de réduction nationales contraignantes est concevable même lorsque l’innovation est motivée par des intérêts économiques. D’une part, le marché allemand a lui-même le potentiel d’alimenter les demandes. D’autre part, autres pays font face aux mêmes problèmes, et les réglementations nationales sont de toute manière adoptées dans un cadre marqué par la coordination et l’influence mutuelle européennes et internationales.
251
(3) Dans ce contexte, il convient de se référer au § 4, alinéa 1, 5e phrase combiné au § 4, alinéa 6, 1re phrase de la loi sur le climat, où le législateur a fixé l’ajustement de la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Selon le § 4, alinéa 1, 5e phrase KSG, les périodes annuelles de réduction des émissions sont, à compter de l’année 2031 (c’est-à-dire après expiration de la trajectoire de réduction fixée jusqu’en 2030 par l’annexe no 2 au § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG), fixées par décret conformément au § 4, alinéa 6 KSG. Selon la première phrase de cette dernière disposition, il appartiendra au gouvernement fédéral, en 2025, de fixer par décret pour de nouvelles périodes à compter de 2030 des volumes d’émission décroissant annuellement. Le législateur reprend ainsi la manière de procéder déjà utilisée au § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 et consistant à fixer des volumes annuels d’émission. Il serait tout aussi loisible au législateur d’opter pour d’autres manières de procéder pour établir un cadre de planification. Toutefois, étant donné que le choix a été fait de guider la réduction ultérieure des émissions après 2030 au moyen de l’habilitation de légiférer par décrets prévue au § 4, alinéa 6 KSG, il faut que cette disposition puisse être en mesure de créer un cadre de planification qui incite aux développements, lequel est exigé en vertu des droits fondamentaux.
252
Concrètement, cela signifie qu’il est nécessaire de formuler en temps utile et dans la lignée du § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 des obligations transparentes relatives aux modalités ultérieures régissant postérieurement à 2030 les possibilités d’émission subsistantes et des impératifs en matière de réduction d’émissions. Seules de telles conditions permettent d’offrir une orientation fondamentale pour le développement et la planification des technologies et des pratiques nécessaires (cf. également document du Bundestag no 19/14337, p. 17). À cette fin, les obligations supplémentaires en matière de réduction des émissions qui actualisent celles prévues au § 4, alinéa 1, 3ephrase KSG combiné à l’annexe no 2 devront être aménagées d’une manière qui leur permette de jouer ce rôle nécessaire d’orientation. Le règlement de cette question incombe lui aussi largement au législateur.
253
Toutefois, il est impératif, en vertu du droit constitutionnel, d’une part de fixer en temps utile les obligations ultérieures en matière de réduction des émissions pour la période après et bien au-delà de 2030 (à ce sujet, et catégoriquement, cf. Cour suprême irlandaise, arrêt du 31 juillet 2020, 2015/19, point 6.45 sqq.). Seule cette démarche permet de créer un cadre de planification duquel découlent incitations et pressions pour entamer les développements nécessaires, parfois longs, à grande échelle. Il est impératif que ces développements commencent d’ici peu, afin qu’il ne devienne pas nécessaire de restreindre la liberté brusquement, radicalement et sans aucun remplacement. Il est certes compréhensible qu’il n’ait pas été évident de fixer concrètement au moment de la rédaction de la loi sur le climat les trajectoires de réduction des émissions au-delà de l’année 2030, par exemple jusqu’en 2050, l’année jusqu’à laquelle la neutralité climatique visée devra être réalisée (§ 1, 3e phrase KSG). L’évolution technique et les comportements innovants ne sont à cet égard pas suffisamment prévisibles ; une fixation prématurée des trajectoires de développement pourrait au pire conduire à gaspiller des possibilités de développement. Cela étant, les trajectoires qui, jusqu’à présent, n’ont été fixées par la loi que jusqu’en 2030 doivent alors être ajustées à temps, au moyen d’un processus progressif et continu. Toutes ces étapes doivent intervenir à temps, afin de créer des cadres de planification qui soient clairs.
254
D’autre part, il faut à cet égard que les volumes annuels d’émission et les exigences en matière de réduction de ces dernières soient assez détaillés, afin de constituer une orientation suffisamment concrète. Seule cette démarche permettra de créer la pression nécessaire en matière de planification, étant donné que ce n’est qu’ainsi que pourront être identifiés les produits et les activités qui devront bientôt être profondément remodelés. Lorsqu’il devient prévisible, en détail et concrètement, que, à quel moment et de quelle manière prendront fin des possibilités d’émettre des gaz à effet de serre, la probabilité augmente que s’établissent rapidement des technologies et des activités climatiquement neutres conformément à cette trajectoire de développement.
255
L’obligation découlant de l’article 20a LF de protéger le climat demeure déterminante pour tout ce qui vient d’être décrit. La fixation pour l’avenir de la trajectoire de réduction doit montrer une voie conduisant à la neutralité climatique, tout en restant dans les limites du budget de CO2 subsistant. Cela présuppose que les volumes d’émission licites soient – comme l’a prévu le législateur au § 3, alinéa 3, 2nde phrase et au § 4, alinéa 6, 1re phrase KSG – continûment réduits. Autrement, il ne serait pratiquement pas possible de réaliser en temps voulu la neutralité climatique (cf. également l’article 4, paragraphe 3 de l’accord de Paris). Une telle démarche n’exclut pas qu’il existe des possibilités d’imputation comme celles prévues notamment au § 4, alinéa 3, 1re phrase KSG, pour autant que les émissions continuent globalement à baisser.
256
bb) Le mode de procéder choisi au § 4, alinéa 6, 1re phrase KSG pour ajuster la trajectoire de réduction des émissions et qui consiste à fixer des volumes d’émission décroissant annuellement est en principe adéquat pour donner une orientation à l’évolution ultérieure. Le mode assure la transparence quant à la question où trouver la trajectoire de réduction pertinente, à savoir le décret qui sera spécialement pris à cette fin en vertu du § 4, alinéa 6, 1rephrase KSG ; cette clarté est indispensable. Cependant, l’actualisation concrète de cette trajectoire n’est qu’insuffisamment réglée par le § 4, alinéa 6, 1rephrase KSG. En fin de compte, elle ne satisfait pas aux exigences constitutionnelles relatives à un aménagement au moyen de modalités offrant une orientation suffisante aux évolutions ultérieures. Cette observation vaut indépendamment du fait que l’article 80, alinéa 1, 2e phrase LF et le principe du monopole législatif du Parlement imposent en plus au législateur de préciser les obligations relatives aux montants des volumes annuels d’émission, s’il veut maintenir son choix d’attribuer en la matière un rôle au pouvoir réglementaire (cf. infra, au point no 259 sqq.).
257-258
(1) […]
259
(2) Si le législateur veut maintenir son choix d’attribuer un rôle au pouvoir réglementaire lors de la fixation des volumes annuels d’émission pour les périodes après 2030, il est en principe libre de le faire, mais il doit alors, en vertu de l’article 80, alinéa 1 LF et du principe du monopole législatif du Parlement, adopter lui-même des dispositions relatives aux montants des volumes annuels d’émission. Il lui est loisible de régler lui-même directement et progressivement ces volumes. Il est cependant tout aussi libre d’imposer au pouvoir réglementaire les principaux critères pour le calcul de ces volumes annuels. À présent, le § 4, alinéa 6 KSG ne satisfait pas à ces exigences constitutionnelles.
260
(a) […] Lorsque sont adoptées des dispositions apportant une ingérence majeure aux libertés et à l’égalité des personnes concernées, il n’est pas en soi exclu d’impliquer le pouvoir réglementaire (cf. Recueil BVerfGE 147, 310 <311 sq. point no 120>). Dans de tels cas, les questions essentielles en la matière doivent cependant être décidées – sauf si des limites fonctionnelles font obstacle à l’exercice du pouvoir législatif – soit directement par le législateur soit au moyen d’une loi formelle qui encadre à cet égard le contenu, la finalité et la portée de l’habilitation de légiférer par décrets.
261
(b) À présent, le § 4, alinéa 6 KSG ne satisfait pas aux exigences susmentionnées. Si le législateur souhaite maintenir son choix d’attribuer un rôle au pouvoir réglementaire lors de la fixation ultérieure des volumes annuels d’émission, il lui incombe alors de préciser la portée de l’habilitation accordée, soit en fixant lui-même le montant des volumes annuels d’émission, soit en formulant des obligations plus détaillées relatives à la fixation concrète de ces volumes par le pouvoir réglementaire.
262
(aa) […]
263-264
(bb) […]
265
(cc) Le manque d’un régime juridique adopté par le législateur, comme l’exige l’article 80, alinéa 1, 2e phrase LF, ne peut être compensé par le fait que le § 4, alinéa 6, 3e et 4e phrases KSG prévoit une participation du Bundestag dans le cadre de l’adoption des décrets pris par le gouvernement fédéral, car une telle participation ne saurait remplacer la procédure législative et la fonction de cette dernière de conférer la légitimité ([…]). Une simple participation du Bundestag n’est pas conforme à l’importance particulière qui revient à la tâche de fixer les volumes annuels d’émission. Une telle simple participation du Parlement ne saurait remplacer la procédure législative, car dans le contexte de l’espèce, c’est justement la fonction particulière de publicité caractérisant la procédure législative qui est l’une des raisons justifiant l’application du principe du monopole législatif du Parlement (cf. supra, au point no 262).
D.
I.
266
En fin de compte, le § 3, alinéa 1, 2nde phrase et le § 4, alinéa 1, 3e phrase KSG combiné à l’annexe no 2 sont contraires à la Constitution dans la mesure où manquent des dispositions relatives à l’ajustement – pour les périodes entre 2031 et le moment où sera réalisée la neutralité climatique exigée en vertu de l’article 20a de la Loi fondamentale – des objectifs en matière de réduction des émissions qui satisfassent aux exigences découlant des droits fondamentaux (cf. supra, au point no 251 sqq.). Dans cette mesure, le recours constitutionnel dans l’affaire 1 BvR 2656/18, pour autant qu’il est recevable, et les recours constitutionnels dans les affaires 1 BvR 96/20 et 1 BvR 288/20 sont accueillis, alors que le recours constitutionnel dans l’affaire 1 BvR 78/20 est infondé.
267-268
[…]
II.
269
[…]
E.
270
La présente décision a été rendue à l’unanimité.
- Harbarth
- Paulus
- Baer
- Britz
- Ott
- Christ
- Radtke
- Härtel